Argouges 1754 : Le  curé mène l’enquête

Ce document trouvé dans le registre paroissial 1751 – 1775 de la commune d’Argouges dans le sud Manche, rompt par son pittoresque la lecture parfois monotone des registres paroissiaux. Bonne lecture. Jacques Lemor

5 août 1754 — Le témoignage du curé

Argouges le 5 aoust 1754

Monsieur,

J’ai l’honneur de vous avertir que hyer dimanche mattin environ sur les six heures le nommé Bouteloup, de ce dioceze, charpentier de profession travaillant en Bretagne, fut pris de maladie violente dont il est mort le même jour. Voycy ce que son camarade et les voisins du lieu ou il est mort m’ont dit a ce sujet. Ledit Boutloup extremement pauvre allant a S^t James pour recevoir le salaire de sa semaine avec ses camarades du sieur Dupar, marchand de bois, pour qui ils travaillaient en Bretagne, entendant tinter une messe basse à la chapelle de la Guerinais en cette paroisse, à laquelle ayant envie d’assister il avança son pas, et en courant tomba et se fracassa le corps sur quelques pierres, ce qui l’engagea à lier sa têtte avec son mouchoir et en cet état assista à une partie de la messe en se plaignant d’être mal ; ce mal augmentant, le força de se retirer en un cham[p] en lequel se plaignant à plusieurs personnes qu’il etoit mort, il n’a point denommé autre cause de sa mort que la chutte qu’il avoit eue, et ne s’est plaint de personne : c’est le temoignage de deux femmes dignes de foy qui l’ont parlé et que j’ai interrogée.

Un enfant agé d’environ neuf a dix ans m’a dit que le chien de son voisin poursuivant le camarade du mort, cedit camarade qui courroit devant, avoit pris une pierre, et que pensant frapper ledit chien, il avoit frappé le mort par la tête ; ce qui ne paroit pas vray, et il n’y a que cet enfant qui le rapporte qui voyant la pierre rouler aprez le chien, et l’homme peu après tomber, a cru qu’il avait eté frappé. Le bruit commun est que ces gens, quoyque pauvres, gaignant dix sols par jour pour salaire et nourriture, etoient vrais amis, et trez honnetes gens.

Le mort laisse une pauvre veuve avec cinq enfans de leur mariage. On a enlevé ledit Boutloup du champ pendant sa maladie et on la mis en la maison proche laquelle il a tombé, en laquelle on luy a administré le sacrement d’ extreme onction, et le curé de Coglès qui le luy a administré m’a [dit] qu’il pensoit que cette chutte avoit fait aboutir en le corps de cet homme une apostume qui fois ou autre l’auroit fait mourir, selon ce qu’il avoit remarqué. Le cadavre n’a qu’en la tete une trez legere blessure qu’à peine on peut remarquer, sans doute que le reste de son corps a plus souffert de la chutte.

Si, cela consideré, joint à l’extreme pauvreté de cet homme, vous jugez a propos que je le fasse inhumer, je vous prie de me le marquer, et d’être persuadé que j’ai l’honneur d’être , respectueusement,

Votre trez humble et trez obeissant serviteur le curé d’Argouges.

Aiant egard a l’enoncé en la presente requeste et vu qu’il ne paroit pas que le dit Boutloup ait eté tué mais mort par accident, avons, du consentement du procureur du roy, permis au S^r curé d’Argouges, Monsieur, de luy rendre les derniers devoirs. Donné à Avranches le six aoust 1754 et demeuré notre presente ordonnance et missive attachée au registre des inhumations.

Transcription Jacques Lemore, relecture Pierre-Yves Jolivet, René Brionne et Guillaume Roupsard.

4 août 1754 (la veille) — Acte décès de Julien BOUTELOUP

Julien Bouteloup fils de feu Charles et de Jeanne Vi[…]ne* de la paroisse de Chalandré domicilié en les Biars mourut le quatre d’aoust 1754 d’une chutte qui lui arriva en allant à la messe à la chapelle de la Guérinais proche icelle en cette paroisse selon son propre rapport fait par luy a plusieurs personnes et fut inhumé le sept du meme mois et an par nous curé dudit lieu soussigné du consentement de Messieurs Delachampagne, juge criminel, et Lottin, avocat du Roy à Avranches, en date d’hyer, cy attaché, aux présences de Françoise Sauvé veuve dudit Bouteloup, Jean Bouteloup, M^rs Lebas et Mahé, pretres, et Legrand, diacre, et beaucoup d’autres personnes dont le plus grand nombre s’est retiré sans signer. Un mot rayé nul. Ledit mort agé d’environ quarante ans a reçu le sacrement d’extreme onction, « avocat » en interligne veritable.

* Tache d’encre : peut-être Vienne.

Transcription René Brionne