La fille du Corsaire

A l’initiative de Thomas, notre équipe de transcripteurs a travaillé sur le contrat de mariage passé entre Catherine Le Clerc, de Réville, fille unique et seule héritière de feu Jambe de bois, figure locale et corsaire de son état, d’une part, et Jean de Pierrepont, seigneur de Lamberville et de Gonneville, d’autre.

François Le Clerc, écuyer, sieur de la Crasvillerie dit Jambe de bois

Voici ce qu’en dit un historien et bibliothécaire de premier plan – Charles de la Roncière – qui a écrit un ouvrage sur le personnage :

“Le roman, la légende, l’histoire ont rendu populaires les exploits des flibustiers du XVIIe siècle, Montbars l’exterminateur, l’Olonnais, Michel le Basque et autres compagnons des rudes boucaniers de l’île de la Tortue. Des intrépides aventuriers qui avaient, un siècle auparavant, essayé de déloger des Antilles ou de la Floride les conquistadors espagnols, personne ne sait le nom. Et pourtant, ils méritaient bien de passer à l’histoire, ces Normands avisés qui cherchaient dans le Nouveau-Monde, comme leurs ancêtres, les Vikings, l’avaient fait jadis, des sites riants et fertiles ; ou ces cadets de Gascogne qui partaient à l’aventure, sans argent, sans vivres, confiants dans la bonne foi d’un pilote étranger pour se guider et dans leur bonne étoile pour se ravitailler en route, toujours prêts, quand la lâcheté gouvernementale laissait insulter nos couleurs, à venger l’honneur du drapeau outragé. Si Dominique de Gourgues, le vengeur de nos colons massacrés en Floride est encore bien mal connu, Jambe de Bois, le premier corsaire de Cherbourg, ne l’est pas du tout”1.

Pour en savoir plus :
Sa fiche sur Wikipedia.
Sa fiche sur Genea50.

François LE CLERC a été anobli par Henri II en 1551. De son mariage avec Marie ROUXEL est sortie une fille unique dont nous avons retrouvé le contrat de mariage, avec son second époux. Cet acte avait été recopié par le chanoine Gohier2 en son temps mais il nous fallait revenir à la source. Ayant pu nous procurer l’original3 nous en avons fait la transcription.

Contributeurs : Thomas GAUTHRON, Alain AUBRIL, Damien RAULINE, Jean-Yves FORNARA, Pierre-Yves JOLIVET et d’autres membres de Généa50 qui n’ont pas mis leurs noms !!!

Transcription de l’acte

Contrat de mariage de Jean de PIERREPONT, seigneur de Lamberville et de Gonneville, avec Catherine LE CLERC, dame de la Crasvillerie, du 9 mai 1586 (Notariat de  Barfleur).


Devant Le Jeune et Le Mignot.

Pour parvenir au traicté de mariage pourparlé & qui, au plaisir de Dieu, sera accomply ausquelles les sollennités ecclésiastiques à ce nécessaires deubment gardées entre noble homme  Jean de Pierrepont, sieur de Sainct Marcouf, fils aysney et principal héritier de noble homme Louis de Pierrepont, sieur de Lamberville, de Gonneville et de Fallaize4 et Baron de Neauville5 et de femme damoiselle Marye Le Valloys en son vivant dame en sa partie dudit lieu de Saint-Marcouf pere et mere dudit Jean d’une part et Demoiselle Catherine fille Le Clerc, fille et seule heritiere de feu noble homme François Le Clerc luy vivant cappitaine pour le Roy en la marine et de l’isle de Tatihou et de Demoiselle Marye Rouxel, dame de Crasville ses pere et mere d’aultre part, ont este feste  conclutes et resolues entre lesdits sr de Lamberville pour luy et au nom de sondit fils aysney a ce present et poursuyvant ledit mariage et ladite Demoiselle Catherine Le Clerc, demeurée veuve en dernyer mariage de feu noble homme Nicolas de Hennot, en son vivant sieur  d’Arreville. Les promesses pactions conventions et accordz qui  ensuyvront.

C’est à scavoir que ledit Sieur de Saint-Marcouf espouzera la Demoiselle avecques tels droictz, noms, reclames et actions qui lui peulvent competer et appartenir à cause de ses pere et mere en quoy faissant, et de lors, ledit sr de Lamberville quittera comme des a present il a quitté et deloissé a sondit filz aysney l’entiere possession disponible et jouissance de ladite terre et syeurie de St Marcouf comme à luy directement apartenante à droict de progéniture a cause de la succession de ladite femme damoiselle sa mere et suyvant l’option et choesye que ledit sieur de St Marcouf en [mot barré] a faicte par se present traictey de mariage du consentement dudit sr de Lamberville son pere pour luy estably et comme tuteur naturel legitime de ses aultres enfans et laquelle choesye par preciput d’ainesse ledit sieur  de St Marcouf pourra faire coroberer et publyer en justice s’il voyt que bon soyt sans pouvoir cy appres par ledit sr de Lamberville pretendre ou demander aulcune chose sur le revenu de ladite terre de St Marcouf et a la charge de le tenir quitte de toutes debtes du precedent de leurs espouzailles.

Oultre ledit sr de Lamberville a accordé et accorde par la convention dudit present mariage et par renoncement[?] de succession dans le cas advenant de son trespas et apprez icelles ledit sr son fils aysney le survivoit ou bien les enffans sortantz dudit mariage pourront prendre avoir et choisyr par preciput d’ainesse au droict de sa succession laditte terre et sieurye de Gonneville en ses sirconstances et dependances pour par eux en jouir des lors affin d’heritage pour leur part et portion de succession paternelle et sans en pouvoir[?] entretant[?] par ledit sr de Lamberville disposer ou contracter en alleniation directement ou indirectement au preiudice desdits mariés ou de leurs hoirs.

A esté résolu et accordé par la convention du présent contract que lesdit futurs mariés se retireront en la maison dudit Sieur de Lamberville pour y faire leur actuelle résidence et demeurance avecques luy tout et sy longtemps qu’il plaira à Dieu les continuer en bonne amytié et quels le vouloient mutuellement faire et accorder sans pouvoir touteffoys durant ladite residence ou par raison d’icelle acquérir ou contracter aulcune communautey de biens entre eux et par ce que durant l’espace de ladite residence ledit sieur de Lamberville aura et recullira content par forme de pocession et usufruict et revenu de ladite terre de St Marcouf delaquelle courant ledit temps. Il plegera et accomplira les rentes et redebvances qui en peuvent estre deubz et advenant que lesdis maries se retirassent fust de grey a grey ou aultrement d’avecques ledit sr de Lamberville ils rentreront des lors a la plaine et entierre jouissance de ladite terre de St Marcouf et pour le regard des biens mobils et héreditaux qui appartiennent à ladite damoiselle iceux maries en jouiront et disposseront et les advertiront en leurs bien peculier et  special ainsy qu’ils adviseront bien estre.

Et pour le droict de douaire coustumier de ladite damoiselle, le cas advenant quelle survivroit, ledit sieur son futur espoux il a este convenu et accordé que oultre la jouissance quelle emportera de la tierce partye du revenu de ladite terre de Sainct Marcouf elle jouira en pareil appres le deceds touteffoys dudit Sr de Lamberville de la tierce partye du revenu de ladite terre de Gonneville. Ce qui a este ainsy exprecement promys par ledit sr de Lamberville par le moyen et en faveur du present mariage finallement Il a este convenu conclud et accorde entre lesdites partyes advenant la terre susdite que ladite damoiselle […] ledit sr son futur espoux […] par dessus son droit coustumier tant aux meubles precedantz de leurs mariages que de ceux qui pourroient revenir de la succession dudit sr de Lamberville. Icelle demoiselle rellévera et emportera franchement et quittement tous les accoustrements, bagues et joyaux, avec tous les meubles et ustensiles servantz pour usage et décoration de sa maison et aussy que sy ledit sieur son futur espoux constant le temps de leur mariage recoit les denyers de l’admortissement de quelques rentes hyppoteques ou retraict d’heritages. Item, a ladite damoiselle il sera tenu d’en faire consignation sur ses biens au nom et ligne de ladite damoiselle et de ses hoirs.

Toutes lesdites pactions et promesses et conventions ainssy passees et accordees entre lesdites partyes en la faveur et pour parvenir audit mariage lequel aultrement n’auroit esté contracté etc.

Faict en la presence et par la deliberation de  noble homme Guillaume de Pierrepont, sieur du lieu et de Trungi6 Jean Davy, sieur de Mari, Richard de Pierrepont, sieur de Gonneville fils second dudit sieur de Lamberville Jean de Hennot sieur de Cosqueville et Theville, Jean Symon , sieur de la Haye et Sainct Saulveur en Brucheville7 ayant espouze la demoiselle mere de ladite damoiselle Le Clerc, Pierre Bazire, sieur de l’Espine, honnorable homme Jacques le Vassal, sieur des Essarts, François de Hennot, escuier, sieur de Henneville & plusieurs autres  et à ce etc obligeants etc.

Faict le neufiesme jour de may de l’an mil V cents quattre vingt & six à Reville viron dix heures du matin a la maison de ladite damoiselle aux presences de François Jean demeurant à Reville et Laurens Frottey demeurant à Cosqueville.

Synthèse et analyse

Les familles des deux époux sont de familles protestantes. La formulation de ce CM semble confirmer qu’il en est de même pour les deux époux. Notamment la formulation “au plaisir de Dieu”8 est traditionnellement utilisée par les protestants. 

Il permet d’établir une généalogie des époux :

François LECLERC

X1 Marie ROUXEL
(X2 Jean SIMON † Sieur de la Haye)
|

Louis de PIERREPONT
sr de Lamberville et de Gonneville
X Marie LE VALLOIS †
dame de Saint-Marcouf
|

Catherine LE CLERC
dame de la Crasvillerie
(X1 Nicolas de HENNOT † Sieur d’Arreville)
X2 Jean de PIERREPONT –>

Jean de PIERREPONT
Sieur de Saint-Marcouf
Sgr. de Lamberville et de Gonneville

un frère : Richard, sr. de Gonneville

Ce contrat est passé par devant les tabellions de Barfleur à Réville à dix heures du matin dans la maison de l’épouse. Catherine Le Clerc est la seule héritière de son noble père François Le Clerc. Le traité parle ensuite des aspects financiers de l’union. Le père du marié (tuteur de ses enfants sur la succession de son épouse Marie LE VALLOIS) accorde à son fils, en tant qu’aîné, la jouissance de la seigneurie de Saint-Marcouf, et lui réserve à sa mort, celle de Gonneville à Blainville. Ensuite nous avons les écrits classiques pour protéger l’épouse (“demoiselle rellevera et emportera franchement et quittement tous les accoustrements, bagues et joyaux,…”). Le couple va vivre avec le père du marié sans qu’il y ait de communauté de bien entre eux. Est ce un devoir de l’aîné de s’occuper au quotidien de son vieux père devenu veuf ? 

Les témoins nous apportent aussi des informations supplémentaires sur la famille et leurs amis :

* Guillaume de Pierrepont sieur de Trungy [==> l’époux a un frère nommé Guillaume de Pierrepont et peut être un oncle du même nom… c’est probablement l’un des 2 car Trungy est bien dans le giron de la famille. Vu l’ordre de présentation dans l’acte (Guillaume est cité avant Richard 2nd fils), il est plus probable que ce soit l’oncle].
* Jean Davy, sieur de Mari [==> probablement Jean DAVY sgr de Mary, de la Haullière, .. (X  Perrette de CAMPROND) dont le fils Jean a épousé 20 ans plus tard une Jeanne de PIERREPONT].
* Richard de Pierrepont, sieur de Gonneville, second fils de Louis de Pierrepont, sieur de Lamberville (donc frère cadet du marié).
* Jean de Hennot, sieur de Cosqueville et Théville [vu les fiefs, il semble bien être le Jean de Hennot fs Gautier (X  1565 avec Jacqueline du PARC) cousin Germain de Nicolas de Hennot X1 Catherine Le Clerc].
* Jean Symon, sieur de la Haye et Saint-Sauveur en Brucheville X2 Marie ROUXEL.
* Pierre Bazire, sieur de Lespine. 
* Honorable homme Jacques Le Vassal, sieur des Essarts. 
* François de Hennot, escuier, sieur de Henneville. 
* François Jean demeurant à Réville .
* Laurens Frottey demeurant à Cosqueville.

La recherche de Monsieur de Paris de 1624 rapporte bien cette Généalogie des Pierrepont :


Thomas Gauthron


Notes et références :

1. Le premier Corsaire de Cherbourg, Jambe de Bois. Publié par la Revue d’études normandes, année II, Nov. 1907, p. 121 .
2. Cité dans l’ouvrage de J. Barbaroux, 120 châteaux et manoirs du Cotentin, éd. Heimdal, p. 57.
3. Notariat de Barfleur. AD50 5E8587 (f°196, acte n°256). Photos Guillaume Roupsard, vues n°393 à 400 (! inversion : commencer par la vue n°394 poursuivre par la 393).
4. Dans la paroisse de Campigny
5. Néauville, lieu-dit à Blainville-sur-Mer proche du manoir de Gonneville, mais pas trace de baronnie pour ce fief (JYF).
6. lire “Trungy” dans le calvados cf http://depierrepont.free.fr/Pierrepont.html
7. Source Dubosc (in Chartrier de Réville Publié dans Procès verbaux des séances et délibérations du Conseil général Manche, Session 3 1877, p. 279-281). Fief de la Haye (Fief de la Haye en Brucheville). Des liasses nombreuses de parchemins et de registres nous fournissent des renseignements précis et constants, pendant quatre cents ans au moins, sur le fief de Silly, appelé aussi le fief de la Haye, assis à Brucheville, tenu et relevant de la baronnie de Bricquebec par un tiers de fief de haubert.  (…) Dans un aveu rendu, en 1582, à la baronnie de Briquebec par Jean Symon pour le fief de la Haye (…) (JYF).
8. Comment différencier un contrat de mariage catholique d’un contrat de mariage protestant ?
On parle de “traité de mariage” ou de “contrat”. Ils sont tous, catholiques et protestants, placés sous des auspices divins. Mais, la grande différence qui sépare les catholiques des protestants est que ces derniers ne font pas référence à la religion Catholique, Apostolique et Romaine ou CAR. Ainsi un contrat catholique débutera généralement par la formule: “C’est le traité du mariage qui au plaisir de Dieu sera fait et célébré en face de son église Catholique, Apostolique et Romaine entre …” alors qu’un contrat protestant sera généralement rédigé de cette manière « C’est le traité de mariage qui au plaisir de Dieu sera fait et parfait entre… » ou « sera fait et célébré en son église entre… » voire (rare) « en son église catholique apostolique et réformée » ou « en son église prétendue réformée ». http://huguenotsweb.free.fr/note_cm.htm
Ajout de Alain AUBRIL : “au plaisir de dieu” elle est utilisée indifféremment par les contrats catholiques ou protestants. Ce qui différencie les contrats c’est la mention “en face de notre mère sainte église catholique, apostolique et romaine” qui ne figure jamais pour un contrat de mariage de la RPR.