Aveu de 1614 pour le fief d’Ozeville assis à Tocqueville.

Transcription de l’aveu fait au roi le 20 novembre 1614 par Jean Le Roux, écuyer, sieur d’Ozeville, pour le fief terre et seigneurie d’Ozeville. Le siège de ce petit fief était l’actuelle ferme d’Ozeville à Tocqueville.

Le manoir d’Ozeville à Tocqueville

Avant la Révolution il y avait dans la paroisse de Tocqueville1 trois fiefs principaux :

Le fief de Tocqueville, qui était un demi fief de haubert tenu du roi sous la vicomté de Saint-Sauveur-le-Vicomte, avec des extensions à Néville, Gatteville, Valcanville, Sainte-Geneviève, Saint-Pierre-Eglise, Varouville et Colomby. Celui d’Auville, huitième de fief tenu de Vauville en la Hague, qui donnait le patronage de l’église paroissiale, avec extensions à Gatteville, Sainte-Geneviève, Clitourps et Varouville2. Et enfin Ozeville, aux mains de la famille Le Roux, huitième de fief de haubert tenu du roi sous la vicomté de Saint-Sauveur-le-Vicomte. A noter que le fief de Grainthéville à Clitourps s’étendait aussi sur Tocqueville, dans le secteur du hameau d’Ingleville.

Voici la transcription de cet aveu pour Ozeville3:

Du Roy nostre souverain seigneur, j’ay Jean Le Roux, escuyer, sieur d’Ozeville, filz Jean, escuyer, vivant sieur de laditte sieurye d’Ozeville, tient et advoue tenir nument et sans moyen soubz la baronnye de Sainct Sauveur le Viconte ledit fief noble, court et usage, par ung huictiesme fief de haubert, assis en la paroesse de Tocqueville et aux paroesses illec environ, balliage de Costentin, viconté de Vallongnes, sergenterye du Val de Saire, ledit fief à moy escheu à droict successif dudit Jean Le Roux mon pere.

Auquel fief noble j’ay manoir, maisons, mesnages, pressoir, droicture de colombier, lequel est et ja4 longtemps en ruyne. Aussy y a voliere à pigeons, garenne, vivier à poisson, place de moulin à eau. Et s’extend ledit fief en laditte paroesse et aultres paroesses illec environ.

Et en tiens en ma main de dommaine non fieffé tant en pray que terres labourables en plusieurs pieces entretenantes ensemble soixante acres ouviron, jouxte le chemin tendant du moulin à la Fosse à Neville, jouxte le chemin ou voye des Longs Champs5, le chemin de Gouberville et Neville aux landes d’Ozeville, lesdittes landes, la chasse des Houssaies6 tendant à la croix de l’Espinette, les hoirs ou ayantz cause de feu Messire Jacques Le Valloys, les hoirs Marin et Laurens Monstreuil, les hoirs Michauld Le Valloys filz Geoffroy, les hoirs Jean Le Valloys filz Thomas, Jean Le Valloys fils Geoffroy, la rue du hamel d’Ozeville tendant au carrefour prez les Croix Havées7, le chemin tendant dudit carrefour à la maison Harco[…]t8, les hoirs ou ayantz cause de Marguerin et Michauld ditz Le Valloys tant de butz que de costés.

Item je tiens quattre vergyés de terre ouviron assises en laditte paroesse de Tocqueville en hamel d’Ozeville en trans de Dessus Les Fossez, jouxte les hoirs Guillaume Le Roux, escuyer, les hoirs ou ayantz cause de Leonard Faulconnel l’aisney, le chemin sortant de la chasse Pesqueliepvre tant de butz que de costez.

Item une piece de terre en closture nommée le Clos au Rouxel assis audit lieu de Tocqueville contenant vingt vergyes ouviron, jouxte les hoirs ou ayantz cause Guillaume et Nicollas ditz Le Roux à cause des partages faictz entreux, les ayantz cause Richard Rouxel tant de butz que de costez.

Item une piece de terre en landage nommée Les Landes d’Ozeville assise en laditte paroesse contenant quarante acres ouviron, non comprins en laditte mesure plusieurs fossez et chemins passantz au travers desdittes landes, jouxte le terroir labourable des paroesses de Varouville, Restoville, Neville et dudit lieu de Tocqueville, tant de butz que de costez.

Item une aultre piece de terre assise en laditte paroesse en landage et maresc occupée de bryeres, rochers et bouillons, nommée La Lande de Goffontaine, contenant quinze acres ouviron, jouxte La Mereau9, Pierres Le Roux, escuyer, les hoirs ou ayantz cause Jean Duchemin, ledit sieur d’Ozeville, Robert Le Roux, escuyer, Jean et Michel Le Galloys, tant de butz que de costez, plusieurs chemins passantz par dessus laditte piece.

Et en dommainne fieffé environ cent quarante acres dont mes hommes sont tenantz et me sont tenus faire chascun an de rente en argent sept livres dix solz, en forment10 environ quattre vingtz boesseaux et en avoyne unze boesseaux, traize guelines avec les pains et dix oeufz, le tout portable au comptoir et recepte de laditte sieurye, et sy11 j’ay droicture de justice et jurisdiction, hommes et hommages, amendes, forfaictures, reliefz, traiziesme, provostz tournoyantz chascun en son tour et reng, regard de mariages, aydes feaux, comme aussy par raison de la dignité de maditte sieurye me compete et apartient la droicture aux boys et forestz du Roy nostre sire en la verderye de Vallongnes dans les forestz et buyssons de Bouteron, Brix, Bernavast et Blanqueville12 tant de pasnage, pasturage, herbage, que de pouvoir prendre et lever en icelles forestz le boys qui m’est necessaire pour mon ardre13 et pour mon amesnagement, et de chasser à cor et à cry dans lesdittes forestz à toutes bestes, excepté qu’en icelles forestz ne puys mettre chevres ny bestes à lainne.

Aussy ay droict moy et mes hommes tant en proprieté qu’en possession à la mare de Gathemare, et y peux moy et mes hommes tendre et pescher à colleretz et filletz et en quelque maniere que ce soit pour prendre anguilles ou aultre sorte de poisson estant dans laditte mare. Aussy ay droict de prendre et tendre à toutes manieres d’oyseaux qui y peuvent repairer et hanter, estre et venir sans en estre ny avoir esté reprins en aulcune jurisdiction.

Et pareillement ay droict et puys prendre et scier couverture de roz et de jasle14 et de toutes sortes d’herbes qui y croissent ou peuvent croistre. Mesmes aussy y ay droict de pasturage et herbage pour mes bestiaux et avoirs15. Et generallement y pouvons, moy et mes hommes, prendre cuillir et lever tous les profitz qui peuvent ou pourroient estre tant pour le present que pour l’advenir.

Et à cause de maditte terre et sieurye j’ay droict et puys avoir en tout temps de l’an mon ver, thoreau et cheval pour estallon banonniers16.

Duquel fief je suys tenu faire foy et hommage au Roy nostre seigneur, service de ban en temps de guerre selon la Coustume de Normandye et selon la valleur et faculté dudit fief et luy en payer les droictz de relief et traiziesme avec les aultres aydes coustumieres le cas offrant, me reservant à accroistre et augmenter ce present adveu et desnombrement d’aultres droictures et libertés en cas qu’elles me viennent par cy après à congnoissance, lequel pour tesmoing des choses y contenues et declarez j’ay signé de mon signe manuel et scellé du sceau de mes armes pour iceluy adveu rendre et presenter au Roy nostre sire en sa Chambre des comptes à Rouen aujourd’huy ce vingtiesme jour de novembre l’an mil six centz quattorze.

[Signature :] J. Leroux

Carte des ingénieurs géographes du roi (vers 1780).

Quelques repères :
1. Manoir d’Ozeville 2. Hameau d’Ozeville 3. Lande d’Ozeville 4. Carrefour des Houssaies
5. La Croix Havées 6. Gofontaine 7. Les Longs Champs 8. La Mereau (La Couplière)

Observations et compléments :

Le fief d’Ozeville consistait donc en un domaine non fieffé de 60 acres dont 55 en landes, essentiellement situé à l’ouest de la paroisse, sur la rive gauche de la Couplière, et un domaine fieffé recouvrant 140 acres. Au même moment, en 1612, le fief de Tocqueville représentait environ 70 acres de domaine non fieffé, dont 15 en landes, et 150 acres de domaine fieffé17. On ne peut se contenter de ce type de critère pour jauger la valeur et l’importance d’un fief, mais on voit que du point de vue de l’emprise foncière ces deux fiefs étaient comparables.

La Lande séculaire d’Ozeville formait l’essentiel de la réserve seigneuriale d’Ozeville, elle a complétement disparue aujourd’hui. Le processus de lotissement de cette lande avait-il commencé un peu avant le Révolution ?18 Ou bien s’est-il fait dans les années qui ont suivies ? Je manque encore d’éléments pour me prononcer, mais elle fut très rapidement valorisée, divisée en parcelles et mise en labours. Il n’en restait déjà plus rien en 1823.

Ce fief d’Ozeville était encore présenté au 18e siècle comme sous foncier de la baronnie de Néhou réunie à Saint-Sauveur-le-Vicomte19. Dans ces conditions, il pourrait y avoir identité entre ledit fief et “la vavassorie d’Ozouville, assise à Tocqueville” citée dans un aveu de 1528 rendu au roi pour la baronnie de Saint-Sauveur et Néhou20. Et par un processus inconnu, le statut de cette terre aurait évolué en un siècle d’une simple vavassorie en un membre de fief de haubert.

Ozeville ou Oseville resta dans la famille Leroux jusqu’à la Révolution. Sa dernière représentante, Marie-Marguerite Le Roux, dame d’Ozeville, s’éteignit en 1792. Par le jeu des successions, la ferme manoir d’Ozeville appartenait en 1823 au comte de La Planche de Ruillé21.

G. ROUPSARD v1 09/2021

N’hésitez pas à me communiquer vos compléments d’informations, critiques, remarques et corrections.

Notes et références :

  1. Arrondissement de Cherbourg, canton du Val-de-Saire.
  2. “Aveu rendu à la seigneurie de Vauville le cinq juillet 1607 pour le fief d’Auville par Pierre Clerel, dans lequel ledit sieur Clerel comme faisant partie de la communeauté de Tocqueville employe les droits à lui appartenants en cette qualité dans laditte marre commune et marais de Gattemare”. Pièce produite par Charles Clérel dans un inventaire de pièces relatives à une procédure concernant Gattemare. Cote AD14 : 2E147. Voir aussi : Etat des fiefs de l’élection de Valognes, rédigé par Lefèvre des Londes, subdélégué, 1746. Consulté sur microfilm 1Mi240 aux AD50. & BNF manuscrit NAF 10420. Copie d’un état des fiefs de l’élection de Valognes rédigé à la fin du 17e siècle par Mangon du Houguet. Consulté sur microfilm 1Mi57 (R 54-59) aux AD50. La seigneurie d’Auville, détenue par les Leroux, passa par mariage au début du 17e siècle dans la famille Clérel qui devint propriétaire par la suite le fief de Tocqueville.
  3. Chambre des comptes. Vicomté de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Cote AD76 : 2B450 (ancien vol. 214). Pièce n°80.
  4. Ja : déjà.
  5. Les Longs Champs sont situés sur Gouberville (auj. commune de Vicq-sur-Mer) en limite de Tocqueville.
  6. Le carrefour de ou des Houssey (ou de Heussey) du nom des parcelles attenantes. Il se trouve à l’intersection de la D514 et de la D226.
  7. Sans doute le carrefour dit “des cinq chemins” (plus que quatre de nos jours) sur le cadastre de 1823 d’où part la Chasse des Havées, longeant la parcelle du même nom en direction de la Monmoterie.
  8. Encre très pâle, une partie du mot est illisible.
  9. La Mereau : ancien nom du ruisseau de La Couplière, que l’on rencontre dans des écrits anciens concernant tant Tocqueville que Gouberville, jusqu’au 18e siècle. Selon le dictionnaire Godefroy, le nom commun merel ou mereau désignerait une pièce d’écluse, une écluse voire le droit à payer pour passer l’écluse. Par extension, localement, ce terme a peut-être fini par désigner le ruisseau en devenant un nom propre.
  10. Lire “froment”.
  11. Si : ainsi, de cette manière.
  12. Bois de Boutron, de Blanqueville et Barnavast, forêt de Brix.
  13. Chauffage (de ardoir : brûler).
  14. Roz et jasle : roseaux et joncs.
  15. Avoirs ou avers : bestiaux, animaux domestiques.
  16. Verrat, taureau et étalon banals.
  17. Chambre des Comptes. Vicomté de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Cote AD76 : 2B450 (ancien vol. 214), pièce n°123.
  18. Le 19 mai 1735, devant Nicolas Lefauqueur, notaire de Barfleur, noble dame Marie-Marguerite Le Roux, dame d’Ozeville, veuve de Messire François du Moncel, sgr. de Reviers, baille à fieffe à Gille Lefèvre fils Nicolas, de Néville, un “petit morceau de circuit de terre” d’environ une perche et demie, sis à Tocqueville, triage du hameau du Tourps, faisant partie du domaine non fieffé de ladite dame. Il agrandit ainsi une de ses parcelles touchant à la Lande d’Ozeville en y agrégeant environ 60 m² desdites landes. Et ce à peu de frais puisque le preneur, qui prend à sa charge les frais de l’acte, s’oblige seulement à “faire, payer et continuer au comptoir et recepte de ladite seigneurie d’Ozeville à Tocqueville don[t] ledit heritage est tenu, mouvant et relevant” une poule de rente foncière et seigneuriale tous les ans à la date du contrat, de faire les droits seigneuriaux et de bailler aveu lorsque requis. Les témoins sont Jean et François Halley, demeurant respectivement à Tocqueville et Clitourps. Source : Notariat de Barfleur. AD50 5E8640, n°70.
  19. BNF manuscrit NAF 10420. Déjà cité.
  20. Source : Aveu de la baronnie de Saint-Sauveur et Néhou par Baptiste de Villequier, 21 juin 1528. in Léopold Delisle. Histoire du château et des sires, p. 349-365. Consultable également dans François Vulliod. La prisée de Saint-Sauveur-le-Vicomte en 1474, p. 160 (document en ligne sur le site de la SAHM) .
  21. Tocqueville. Etats de sections des propriétés non bâties et bâties. Section C dite d’Ozeville. 1823.