Assemblées Nocturnes dans le Mortainais – Chapitre 4 et Fin

4.- Fait Historique

    Chapitre 4/4

 L’instruction s’achève avec d’autres rebondissements. Pourrons-nous espérer un dénouement heureux à cette histoire ? M.Duthy

   

ASSEMBLEES NOCTURNES DANS LE MORTAINAIS
PENDANT LA TERREUR
ET PROCÉDURE QUI LES SUIVIT. – JUIN 1794


Chapitre 4 / 4

IV

Guesdon était sur le point d’achever l’instruction de l’affaire du Mesnil-Gilbert, qu’il poursuivait depuis trois semaines avec tant d’ardeur, lorsqu’il apprit qu’un messe avait été célébrée, la nuit du 22 au 23 juin, dans la grange du village des Longschamps, à Beauficel. Il est étonnant qu’il ait ignoré aussi longtemps ce fait, dont on avait beaucoup parlé. Ces bruits avaient pris une telle consistance que la fermière des Longschamps, Madame Bellefontaine, justement effrayée, était allée avec une de ses filles trouver deux republicains bien connus, Georges-Bertrand Sonnet et la veuve Launay, qui habitaient le ci-devant presbytère de Brouains, pour s’assurer s’ils étaient au courant de ce qu’on disait dans le public et leur demander conseil sur ce qu’elle avait à faire. Ceux-ci lui avaient dit qu’ils connaissaient tout ce qui s’était passé chez elle, et que le seul moyen d’éviter les suites d’une affaire aussi compromettante était de passer une déclaration sincère devant l’agent national du District, qui se trouvait à Chérencé, chez le citoyen Lentaigne, au village des Grands- Champs.

Madame Bellefontaine parut d’abord accepter ce conseil : elle pria même la veuve Launay de l’accompagner le lendemain matin chez l’agent national, ou de lui donner au moins une lettre de recommandation. Mais elle essuya un refus formel. La Citoyenne Launay et le sieur Sonnet ajoutèrent qu’ils la dénon- ceraient si elle ne suivait pas leur avis. En revenant chez elle Madame Bellefontaine rencontra quelqu’un qui la détourna d’aller à Chérencé. Ne sachant plus à quel parti s’arrêter, elle retourna le jour suivant, de grand matin, chez la veuve Launay et lui dit qu’elle hésitait beaucoup à tenir sa promesse de la veille, parce que sa déclaration compromettrait un grand nombre de personnes. La femme Launay la menaça de nouveau de la dénoncer ; ce qu’elle fit, car peu de jours après elle raconta ce qu’elle savait à l’agent national de Brouains, le sieur Norgeot, lequel s’empressa d’envoyer son rapport au citoyen Guesdon.

Celui-ci interrompit aussitôt ses séances à Chérencé et se transporta, le samedi 12 juillet (24 messidor), au village des Longs- champs avec ledit Norgeot, afin de commencer une enquête sur cette nouvelle affaire.

Ecoutons-le raconter lui-même cette sinistre expédition :

« … Mes recherches bientôt finies dans ce canton, sachant d’ailleurs que les plus grands coupables s’étaient évadés, j’appris qu’un autre rassemblement de cette nature avait eu lieu à Beauficel. Mes inquiétudes augmentèrent avec mon ardeur et je ne perdis pas un instant pour y porter mes pas et en arrêter les suites avec les chefs, s’il eut été possible. Je fus donc (et c’étoit le 24 messidor) dans cette commune, au village des Longs-Champs, lieu où le rassemblement s’étoit fait. Je demandai le détenteur de ce hameau avec sa famille ; il se rendit chez lui à mon invitation et abandonna momentanément la récolte de son foin, à laquelle il travaillait alors. Je fis part à la famille assemblée de l’objet de ma mission. Alors inquiets et agités ils me répondirent qu’ils ne savaient ce que je leur demandais. Le mari m’ajouta fermement que c’était une pure calomnie. Mais bien instruit de ce qui s’était passé je persistai et dis qu’ils m’en imposaient ; qu’il m’était prouvé que des prêtres contre-révolutionnaires avaient dit la messe chez eux, et que, d’après les dépositions qui m’avaient été faites, je ne pourrais m’empêcher de les regarder comme leurs complices, s’ils ne me les décelaient en me déclarant la vérité, rien que la vérité et toute la vérité. Encore une fois ils furent interdits, et cette conduite me décela bien qu’ils avaient des connaissances qu’ils craignaient de me donner. Alors je les rassurai et leur promis que rien ne leur arriverait, s’ils voulaient être vrais, et qu’ils se missent bien en tête que je les regarderais aussi coupables d’outre- passer la vérité comme de demeurer en deçà. Encore même embarras de leur part ; et le mary de dire qu’il n’avait aucune connaissance de ce que je lui disais. Je pris alors mon écharpe et le sommai, au nom du salut public, de me déclarer la vérité, et leur dis que s’ils ne voulaient pas, j’allais en dresser procès- verbal et le joindre aux renseignements contraires que j’avais, pour les faire passer de suite au Comité de Sûreté générale, qui infailliblement prendrait un parti rigoureux contre une opiniâtreté aussi criminelle. Ce fut à cet instant que prêt à partir ils me prièrent de recevoir leur déclaration.

D’après Madame Bellefontaine les faits ne se seraient pas ainsi passés. Elle rapporta, en effet, dans sa déposition du 29 septembre suivant, (8 vendémiaire) devant MM. J.-B. Bouillon, maire de Mortain, et Charles Glize qu’étant occupée à faner elle vit arriver deux étrangers ; qu’elle rentra chez elle avec eux, que le citoyen Guesdon se fit alors connaître et lui apprit le but de sa visite. Elle avoua, qu’elle avait fait dire une messe dans la nuit du 22 au 23 juin ; mais elle refusa de nommer les assistants. Le citoyen Guesdon, ayant alors recours au moyen qui lui réussissait toujours en pareil cas, la menaça « de la faire guillotiner et même brûler », si elle persistait à garder cette réserve. Madame Bellefontaine naturellement timide et très impressionnable tomba à ses pieds en lui demandant ce qu’il fallait faire pour sauver sa vie. Au même instant Guesdon, qui était assis sur une bancelle, se leva et passa à son cou un grand ruban rouge. Elle cru qu’on allait la tuer, et, sous l’empire de la terreur, elle fit une déclaration, « dont elle n’a pu, disait- elle, se rendre compte depuis. »

Guesdon rédigea un procès-verbal et fit, en effet, signer par Mme Bellefontaine et ses deux filles présentes à la scène que nous venons de reproduire.

Nous nous contentons de donner les deux versions sans vouloir les discuter.

L’agent national ne put commencer aussitôt les interrogatoires, parce que l’enquête n’était pas suffisamment avancée. Il la termina, le dimanche, dressa la liste des prévenus et envoya des citations à ceux qu’il voulait faire comparaître immédiatement devant lui au presbytère de Brouains, où il s’était installé. Ce fut là qu’il reçut cette réponse de Le Carpentier au rapport qu’il avait adressé le dimanche précédent.

Valognes, le 25 messidor, 2e année

« Le Carpentier, représentant du peuple, à l’agent national près le district de Mortain.

« Ta dépêche, citoyen, m’est arrivée fort à propos pour fixer mes idées sur les suites des troubles fanatiques et contre-révolutionnaires excités dans une partie du district de Mortain ; car la lettre que j’avais reçue précédemment de l’administration ne me satisfaisait d’aucune manière. Je vais mettre aussi dans la réponse que je te fais une différence, mesurée sur votre conduite réciproque. La tienne est véritablement révolutionnaire et j’y applaudis avec empressement ; donne la suite la plus active à tes perquisitions ; envoye, si déjà n’est fait, le signament des prêtres conspirateurs, qui ont dû se réfugier dans le Calvados, aux districts où ils auront pu trouver retraite ; poursuis, avec le même zèle, les ci-devant constitutionnels et les réfractaires qui ont également contribué à cet acte d’insurrection directe ; n’épargne aucun moyen pour t’assurer des chefs et des agents ; achève l’enquête le plus promptement possible et fais-la moi passer avec une liste de ceux des instigateurs, qui sont déjà en état d’arrestation, afin que je les fasse traduire sur le champ devant le tribunal révolutionnaire. Je n’ai rien à te dire d’après ce que tu m’as écrit, et ce que tu penses toi-même sur l’urgente nécessité de la répression du fanatisme qu’il faut comprimer révolutionnaiement, après avoir inutilement tenté de l’éclairer par les lumières de la raison. C’est l’ennemi le plus dangereux de la liberté ; qu’il soit enfin écrasé par la force de la république.

« Je compte sur ton zèle, compte sur mon autorité pour le seconder au besoin. J’espère aller dans quelque temps à Mortain, et je partirais sur-le-champ pour m’y rendre, si ma présence y devenait plus nécessaire que dans les différents autres points où j’organise tout à fait le gouvernement révolutionnaire.

« Salut et fraternité. » LE CARPENTIER.

Le Carpentier, nous le voyons, approuvait la conduite de Guesdon et le poussait à toutes les violences. Son âme est tout entière dans cette lettre.

Mais il faut savoir en quelles circonstances il l’écrivit. De Coutances, où il avait signé, le 6 juillet, un arrêté traduisant devant le tribunal révolutionnaire vingt-quatre personnes, qui portèrent presque toutes leur tête sur l’échafaud, il s’était dirigé vers Carentan, afin de faire procéder à l’arrestation d’une dizaine d’individus de la commune de Gonfreville, coupables du même crime que les prévenus de Beauficel et du Mesnil-Gilbert. Il se rendit ensuite à Valognes, puis à Cherbourg, revint à Valognes et y dressa de nouvelles listes de suspects qu’il achemina aussi, les 20 et 24 juillet, vers le tribunal révolutionnaire de Paris. Il ne faut donc être surpris ni du ton de sa lettre, ni du zèle de l’agent national de Mortain à se montrer digne d’un tel protecteur et ami.

Le lundi 14 juillet (26 messidor), Guesdon fit comparaître devant lui au presbytère de Brouains le frère de M. l’abbé Bion, Pierre Bion, qui était en même temps secrétaire de la municipalité et capitaine de la garde nationale de Beauficel. Avons- nous besoin de dire qu’il fut immédiatement arrêté et mené à la prison de Mortain par les deux fusiliers qui étaient allé le chercher à son domicile ? Puis, on introduisit Marie-Anne Bechet et sa nièce, Jeanne-Louise Hamel, couturière, âgée de 23 ans, native de Sourdeval et domiciliée chez elle. Marie- Anne Bechet, qui était malade, fut consignée au corps de garde, en attendant qu’on pût la transporter à la maison d’arrêt de Mortain.

Le 15, Guesdon entendit Madeleine Ledru, femme de Jean Hamon, de Beauficel, âgée de 30 ans, et sa belle-mère, Madeleine Danguy, femme de Jacques Hamon, âgée de 62 ans ; Marguerite Lejemble, dite les Buttes, du village du même nom, âgée de 20 ans, et enfin le cousin de M. l’abbé Bion, Pierre Bion, cultivateur, domicilié à Beauficel. Il était naturellement désigné aux sévérités de l’agent national ; aussi fut-il conduit le jour même en prison par les deux fusiliers Gilles et Jean Farcy, qui durent rapporter une décharge du geôlier.

Le 16 juillet (28 messidor), l’agent national revint à Chérencé-le-Roussel, pour y rédiger un rapport aux comités de Salut public et de Sûreté générale. Ce rapport, sauf quelques détails peu importants, que nous connaissons par ailleurs, n’est qu’une copie de celui qu’il avait envoyé à Le Carpentier. Aussi croyons-nous qu’il est inutile de le reproduire ici. Guesdon était de retour à Brouains, le jeudi 17 juillet. Ce jour-là il interrogea Suzanne Hamon, femme Danguy, âgée de 36 ans ; Michelle Guesdon, femme Borée, âgée de 40 ans, et Marie-Anne Danguy, fille Richard, âgée de 21 ans, toutes de Beauficel.

Ici finissent les procès-verbaux de l’instruction. Cependant plusieurs personnes furent encore interrogées ; car un membre du comité de surveillance de Beauficel, Julien Levasseur, et le secrétaire de la municipalité, Charles Ledoux, dont nous avons précédemment parlé, furent aussi écroués à la prison de Mortain, où ils subirent, probablement pour la seconde fois, un interrogatoire le 13 thermidor.

Le maire de Brouains, M. Julien Germain, âgé de 37 ans, ne put être arrêté immédiatement, parce qu’il était en mission dans le département des Côtes-du-Nord. On envoya dans le district de Broon, où il se trouvait alors, deux gendarmes, qui le ramenèrent à la prison de Mortain. Son interrogatoire eut lieu le 2 thermidor.

Le servante du maire du Mesnil-Gilbert, Marguerite Girout, fut également arrêtée, le 4 du même mois, avec une autre femme de cette paroisse, nommée Marie-Anne Trochon.

Quel sort était réservé à ces nombreux prévenus, enfermés à la prison de Mortain ? Il est certain qu’ils auraient été prochainement acheminés, comme ceux des districts d’Avranches, de Coutances, de Carentan, de Cherbourg et de Valognes vers le tribunal révolutionnaire de Paris. Le Carpentier le dit assez clairement dans sa lettre à Guesdon ; mais si l’on pouvait avoir encore quelque doute à cet égard, il suffirait pour les dissiper entièrement de lire ce passage de son rapport à la Convention en date du 29 fructidor An II : « De Granville, je partis pour Coutances, chef-lieu du département de la Manche, où m’appelaient plusieurs mesures administratives et révolutionnaires. Il s’agissait surtout de prévenir les suites des processions nocturnes qui avoient eu lieu presque en même temps, dans les deux districts de Carentan et de Mortain. Au moyen de ces mouvements ténébreux, dans lesquels le crime entraînait une multitude ignorante et susceptible d’excès, les directeurs du fanatisme pouvaient compromettre grandement la tranquillité publique. Il m’étoit même parvenu, par des avis secrets de la Commission des relations extérieures, que, malgré toutes les précautions prises, des prêtres réfractaires arrivaient la nuit de Gersey sur les côtes de la République, et se répandoient dans les campagnes pour y exciter des troubles fanatiques et contre- révolutionnaires : les faits et les circonstances étaient ainsi de nature à provoquer toute ma sollicitude. La plus exacte surveillance fut recommandée aux autorités civiles et militaires, pour saisir les causes et prévenir les faits de pareilles émeutes. Mais il étoit nécessaire de donner l’exemple d’une juste sévérité. Les individus reconnus les plus coupables parmi ceux qui avoient composé les rassemblements de Gonfréville, district de Carentan, (du nombre desquels étoient deux membres du comité de surveillance et le greffier de la municipalité), furent traduits devant le tribunal révolutionnaire. La même mesure auroit été prise par les mêmes raisons envers les instigateurs du rassemblement du district de Mortain, si l’étendue de l’enquête n’eût différé l’envoi, qui me fut fait trop tard par l’administration du district36. »

La chute de Robespierre, qui arriva au cours de ces événements, sauva ces malheureux de l’échafaud. La plupart profitèrent du décret du 21 messidor An II, aux termes duquel les prisonniers laboureurs, qui n’avaient pas été compromis dans des affaires concernant la sûreté de l’Etat, pouvaient être relaxés provisoirement pour faire les récoltes. Les campagnes étaient désertes depuis le départ des jeunes gens appelés aux frontières et la famine désolait le pays. Tous furent définitivement mis en liberté dans le courant du mois de septembre.

Les efforts tentés dans l’intérêt d’une grande cause ne sont jamais perdus. Alors même qu’ils ne sont pas immédiatement suivis d’effets appréciables, ils suscitent presque toujours dans un avenir plus ou moins prochain des dévouements qui amènent le triomphe. Aussi ces assemblées de protestation contre la tyrannie furent loin d’être inutiles. Leur premier résultat fut de surexciter l’opinion et de créer un mouve- ment de résistance qui se traduisit par de nombreux abattis d’arbres de la liberté et le refus de plusieurs jeunes gens de satisfaire à la loi du recrutement militaire. Ces réfractaires formèrent les premières bandes de la chouannerie dans le pays.

Le District de Mortain écrivait, le 6 fructidor, (23 août 1794) au comité révolutionnaire de cette ville, en lui transmettant son avis sur la supplique de M. Boussard réclamant la liberté de sa fille : « L’administration du District de Mortain, renvoie le pétitionnaire au comité révolutionnaire de Mortain, en observant aux membres qui le composent qu’avant de prononcer, ils doivent bien se pénétrer de l’importance de ce rassemblement, qui a été l’exode des troubles qui agitent notre district en ce moment ainsi que les circonvoisins, et qui a été suivi de plusieurs abattis et mutilations d’arbres de la liberté37 ; que sans doute il est bien intéressant pour l’agriculture de lui rendre des bras ; mais qu’il faut arrêter par tous les moyens possibles les progrès du fanatisme, qui ferait de nos contrées une nouvelle Vendée… »

Dans une autre lettre concernant Marguerite Girout l’agent national faisait encore remarquer au même comité « que depuis ce rassemblement les chouans et les fanatiques avaient levé la tête et cherchaient à opérer une contre-révolution, comme on en a dans ce district et les circonvoisins la trop mal- heureuse expérience ».

Les contre-révolutions suivent toujours de près les révolutions, quand celles-ci s’accomplissent au mépris de la vérité et de la justice, parce que la vérité et la justice sont les bases éternelles des sociétés, la garantie nécessaire de leur prospérité matérielle et de leur grandeur morale.

PIÈCES JUSTIFICATIVES

I

Rapport de l’agent national du district de Mortain, F. Guesdon, au représentant du peuple Le Carpentier, sur l’assemblée nocturne du Mesnil- Gilbert.

Chérencey, 18 messidor 2e année de la République française, etc.

(6 juillet 1794)

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ

« L’agent national du district de Mortain au citoyen Le Carpentier, représentant du peuple dans le département de la Manche et autres environnants.

« Je viens d’apprendre, au fond de ma campagne, que tu m’avais accordé le secrétaire que je te demandais ; je t’en fais mes remerciments en te jurant un éternel amour pour notre mère commune.

« Je t’aviserai, n’ayant pu le faire plus tôt, que, dans la nuit du 5 au 6 du présent, deux scélérats prêtres réfractaires ont célébré une très grande messe dans une des communes les plus aristocratiques de notre district appelée le Mesnil-Gilbert. Huit cents fanatiques au moins se sont rendus au lieu désigné. D’après tous les renseignements que je me suis procurés, et dont je ne cesse de suivre les différents fils quelque tortueux qu’ils soient, un grand discours contre-révolutionnaire a été prononcé, et l’on s’y est efforcé de susciter l’indignation des assistants contre tous les hommes en place ; on a même provoqué au meurtre ; on y a engagé les pères et mères à laisser plutôt égorger leurs enfants que de les souffrir aller aux frontières et à plutôt tous souffrir le martyre que de se soumettre aux lois de notre gouvernement actuel. Bien sûrs de l’ignorance et du fanatisme outré de la multitude des auditeurs, ils se sont dits les envoyés immédiats de Dieu. Ce qu’il y a de bien singulier c’est que trois cy-devant prêtres constitutionnels se sont rendus au lieu de ces cérémonies et n’ont pu y assister qu’après avoir été purifiés, ce qui s’est opéré de la manière suivante : on les a reclus dans une mauvaise boulangerie ou toit à porc, d’où il ne pouvaient communiquer avec qui que ce soit de la sainte assemblée, s’en étant rendus indignes par la prestation de serment. Ensuite on a chanté le Veni Creator, après quoi on a été pontificalement chercher les sots ou contre-révolutionnaires pénitens ; on les a amenés à l’autel, où ils se sont humblement prosternés devant le chargé des pouvoirs célestes et illimités ; là, ils ont juré, mais quoi ? La contre-révolution ! Ces trois nouveaux convertis sont les nommés Bion, natif de la commune de Beauficel, et cy-devant vicaire de la commune du Mesnil- tove ; Chapin, natif de celle de Saint-Pois, et cy-devant vicaire à Périers-en-Beauficel, et enfin Duhamel, cy-devant curé de Notre-Dame-de-Cresnay, le tout de notre arrondissement. Il y a plus : un agent national étant de naissance bon catholique, apostolique et romain et voulant mourir de même s’est aussi présenté et a juré de ne plus reprendre cette vilaine écharpe qui l’avait rendu scélérat et risquait à le précipiter malgré lui dans l’abyme enflammé.

« Le lendemain de cette espèce de messe de minuit, quelques patriotes m’avertirent du bruit qui courait, et, sur le simple soupçon, craignant tous des prêtres, je négligeai de prendre la purgation qu’on me présentoit, pour me lever et prendre les mesures nécessaires pour m’assurer de ces trois J. F. Je fus chercher trois vrais sans-culottes et les envoyais à la découverte ; mais il m’apprirent, à mon grand regret, que ces trois fanatiques n’étaient point rentrés chez eux. Alors je devinai qu’ils n’y rentreraient peut-être pas, d’autant plus qu’on m’apprit qu’ils avaient tout vendu quelque temps auparavant. En effet, l’activité permanente de mes espions m’a prouvé que ces rejetons de Madame Théot n’étaient pas revenus chez eux et avaient préféré d’être les courriers du correspondant de Dieu et sûrement de toute la céleste cour. L’agent national a décampé aussi ; mais il n’est pas encore avec les saints prêtres, il ne fait que voltiger dans nos environs et j’espère que mes ruses le feront bientôt tomber dans nos filets.

« J’entends tous les jours des témoins et fais passer de rudes interrogatoires à tous les prévenus ; mais la chaîne est si longue et si tortueuse qu’il faut la plus grande patience pour la suivre et en toucher tous les maillons. J’ai fait déjà mettre en arrestation trois colporteurs des nouvelles de cette grande cérémonie ; j’aurai occasion d’en mettre bientôt davantage, car à force d’interroger, j’approche des premières trompettes nocturnes, et c’est sur ceux-là seuls que je veux m’appesantir cherchant plutôt à ramener les idiots et les ignorants qu’à les punir. Ce qu’il y a de malheureux, c’est que je ne puis avoir aucuns renseigne-ments sur les deux célébrants ; mais j’espère cependant les découvrir à force de recherches et de poursuites que je ne veux terminer qu’à la réussite ou à ma mort ; car on a déjà menacé de m’assassiner ; mais tu peux compter que ce projet ne me ralentira pas et qu’à l’aide de tes lumières que j’implore, je viendrai à bout d’étouffer ces monstres dès leur naissance et de préserver mon district des horreurs de la Vendée. Cette douce espérance sera le plus efficace des remèdes dont je ferai usage dans ma convalescence.

« Salut et fraternité inaltérable. »

II

ARRÊTÉ
DU REPRÉSENTANT DU PEUPLE
LE CARPENTIER
-.-

Nous Représentant du Peuple, délégué par la Convention Nationale dans le Département de la Manche & autres environnans,

D’après les avis qui nous ont été donnés par plusieurs Administrations sur l’existence & la multiplicité de rassemblemens contre révolutionnaires dits Processions nocturnes ;

Considérant que ces mouvements ténébreux sont un nouvel effet de la perfidie des ci-devant Prêtres qui, réunis à d’autres classes de malveillans, cherchent à entraîner dans des démarches séditieuses les Citoyens les moins éclairés, pour en faire de nouveaux prosélytes au fanatisme & de nouveaux ennemis au gouvernement Républicain ;

Considérant que l’inutile emploi des lumières & des exhortations prodiguées jusqu’à ce jour avertit qu’il est temps de faire succéder l’énergie révolutionnaire a une dangereuse tolérance ;

Considérant enfin que la liberté des cultes décrétée par la Convention Nationale ne peut en aucun temps, servir de prétexte à la perturbation de l’ordre ; que tout signe public d’un culte particulier est un outrage pour les autres cultes ; en un mot, que le salut de la République exige la fin d’une lutte déjà trop longue entre le fanatisme & la raison, le crime & la vertu, le royalisme & la Liberté ;

Arrêtons ce qui suit :

ARTICLE PREMIER.

Tout signe public de tout culte quelconque sera supprimé, & ses débris mis à l’écart.

II.

Sont compris dans la suppression ou démolition les bâtimens ci-devant connus sous le nom de Chapelles, & servant aujourd’hui de rendez-vous pour les rassemblemens fanatiques & contre-révolutionnaires.

III.

Sont réputés ennemis de la chose publique tous individus qui, sortant de leurs foyers pour troubler la paix des villes ou des campagnes, formeroient des processions nocturnes.

IV.

En conséquence, la force armée sera déployée contre eux ; les instigateurs ou directeurs des attroupements seront saisis, conduits dans la maison d’arrêt & traduits comme conspirateurs devant le Comité de Sûreté générale de la Convention.

V.

Quant aux autres individus qui auroient été entrainés dans lesdits rassemblemens, ils seront également saisis & conduits en la maison d’arrêt, pour être interrogés & traités ensuite selon le caractère de leur délit, & il sera rendu compte du tout aux Représentants du peuple.

VI.

Les administrateurs de District & les Municipalités requerront autant que besoin sera, les Commandans de la force armée, qui demeurent chargés d’employer aussitôt tout moyen de rigueur & de prudence nécessaires, conjointement avec des Commissaires des autorités constituées.

VII.

Il est expressément recommandé auxdites Autorités de veiller à la célébration de la Décade instituée par la loi, & de tenir note de ceux qui affecteroient de consacrer encore au ci-devant dimanche un temps qui appartient exclusivement à la Patrie.

VIII.

Le présent sera envoyé aux Départemens de la Manche, d’Ille & Vilaine, des Côtes-du-Nord & du Morbihan, qui sont invités à en transmettre aussitôt des expéditions à chacun des Districts de leur arrondissement, chargé de son exécution, à l’effet de quoi il sera imprimé & publié dans les formes ordinaires.

Port-Malo, le 16 Thermidor, l’an 2e de la République.

Signé LE CARPENTIER

Certifié conforme. LE CARPENTIER

Notes et références :

  1. Rapport du 29 fructidor An II, p. 107. – Nous donnons aux Pièces justificatives n°2 le texte de l’arrêté que Le Carpentier prit, le 3 août suivant, c’est-à-dire quelques jours après la chute de Robespierre, pour interdire les assemblées nocturnes et démolir les chapelles où elles se faisaient ordinairement.
  2. C’était le plus souvent pendant la nuit que les arbres de la liberté étaient mutilés ou abattus. L’administration prit le parti de les faire garder. Cette nouvelle charge, ajoutée à tant d’autres, mécontenta les populations et donna lieu quelquefois à des scènes qui ne man- quaient pas d’originalité. A S. Pois le citoyen Gimard se cache pour ne point passer la nuit au pied de l’arbre « chéri », et sa femme répond à ceux qui viennent le requérir pour cet effet « que ceux qui veulent des gardes pour garder de bougre d’arbre pouvaient en chercher et qu’elle s’en foutait et qu’ils le gardent comme ils le voudront. »
    Arch. de la Manche, 1 bis. M. 4-4, An II.

in : Revue de l’Avranchin: bulletin trimestriel de la Société d’archéologie, de littérature, sciences & arts d’Avranches et de Mortain, tome IX, 1898
La source Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57858006.r=Assemblées%20nocturnes%20dans%20le%20Mortainais%20pendant%20la%20terreur%20et%20procédure%20qui%20les%20suivit%20%28juin%201794%29%20%20par%20M.%20V.%20Ménard%2C…?rk=21459;2
Photo de couverture : Détail Huile de Michèle Duthy
Liens vers la Base :  https://gw.geneanet.org/genea50com_w
Georges Bertrand Sonnet    Georges Bertrand SONNET
Jean Baptiste Bouillon    Jean Baptiste BOUILLON
Marie-Anne Bechet et sa nièce Jeanne-Louise Hamel    Jeanne Louise HAMEL    Marie Anne BECHET
Madeleine Danguy    Madeleine Françoise DANGUY
Marguerite Lejemble    Marguerite Dite Les Buttes LEJEMBLE
Suzanne Hamon    Suzanne HAMON
Marie-Anne Danguy   Marie Anne DANGUY
Marie-Anne Trochon   Marie Anne Elisabeth TROCHON

D’après mes recherches, aucune des personnes présentes dans ces quatre chapitres ne furent guillotinées. (MD)

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