1757 – Recherche de fonds pour l’église de Réville

Je vous propose ce mois-ci l’étude de deux délibérations paroissiales datées de la même année, dénichées dans le notariat de Barfleur, qui touchent au financement du trésor de l’église de Réville. Cette année là des travaux importants sont à prévoir pour l’entretien de l’église et il faut trouver de nouvelles sources de revenus.

Bancs objets de dispute, église en mauvais état et moyens limités.

Le 25 août 1757, le sgr. de Réville présentait une requête au bailli de Cotentin en ces termes : « Monsieur le bailly de Cottentin ou Monsieur son lieutenant general à Valognes, supplie humblement Hervé Fouquet, chevallier, seigneur & patron de Reville, et vous remontre qu’il n’aist tous les jours des disputtes au sujet des bancs de l’eglise dudit lieu de Reville. Il y a eu des assemblées convoquées, lesquelles ont esté sans fruit par les differents interets & les differentes idées des particuliers, et meme il y a eu des disputtes indecentes pendant l’office divin, quelque uns même ont osté des bancs & en ont fait replacer de neufs sans authorité. Il est certain que hormy le patron de l’eglise, aucun laique n’y a droit de seance s’il n’a une concession de ceux qui ont droit de l’accorder & ces concessions ne sont point hereditaires ».

De plus « il est a remarquer que la nef de l’eglise de Reville est en très mauvais etat & principallement de couverture, et des ouvriers qui l’ont visittée ne demandent pas moins qu’une somme de quatre mil livres pour les reparations qui sont arrivées fautte d’entretien occasionné par le peu de revenu du tresor et par la negligence des tresoriers de ne pas prendre des voyes convenables pour pourvoir à l’entretien de la nef de ladite eglise ».

Dans ces circonstances le sgr. de Réville est persuadé que la voie la plus convenable pour empêcher « l’entier deperissement » de ladite nef serait de fieffer les bancs car cela produirait un revenu au trésor, lequel est alors très modique, et permettrait également d’empêcher « les disputtes trop ordinaires parmy les habitants. & comme ce tumulte arriveroit probablement dans une assemblée qui seroit convoquée s’il n’y avoit une personne en etat de reprimer presente à cette meme assemblée », le sgr. de Réville recours à l’autorité du bailli et présente la requête qui suit : « A ce qu’il vous plaise Monsieur ordonner que la communauté des habitants de tous etats » de la paroisse de Réville s’assemblent pour délibérer à propos de la fieffe des bancs de l’église au plus offrant et dernier enchérisseur, afin que le produit en soit employé aux réparations les plus urgentes de la nef de l’église. Que le procureur du roi soit présent à la délibération qui sera faite le jour qui lui plaira, « pour ensuite, après la deliberation faitte en la presence de mondit sieur le procureur du roy, estre statué ainsy qu’il se trouvera apartenir, à laquelle fin le tresorier en exercice sera tenu de requerir les anonces necessaires à ce sujet & vous ferez justice ».

Le procureur du roi (Charles-François Vaultier)1 décide qu’il se rendra le dimanche 11 septembre à Réville et que les habitants seront tenus de s’assembler pour délibérer au sujet de la fieffe des bancs de l’église. Ledit jour, Guillaume-Charles Blondel, notaire de Barfleur, se rend à l’église de Réville, à la sortie des vêpres, à la requête du sgr. de Réville, pour dresser le procès-verbal de la délibération qui va s’y tenir. Les habitants se sont rassemblés au son de la cloche selon l’usage ordinaire en présence du procureur du roi, informés à l’avance de l’ordre du jour lors du prône de la grand-messe par trois dimanches consécutifs, les présents faisant fort pour les absents.

Lesquels paroissiens « après mure reflection & envisageant le bien de l’eglise onts deliberé d’une voix unanime qu’ils consentent l’execution & les fins de la requeste » du sgr. de Réville, dont on leur a donné lecture. Les bancs de la nef seront donc fieffés 40 s., à payer au jour saint Michel au trésorier en charge, et les bancelles à 20 s. exigibles au même jour. Et dans le cas où un particulier n’aurait pas payé son dû au plus tard un mois après le terme convenu, la fabrique pourra l’adjuger à quelqu’un d’autre. Lesdits bancs et bancelles seront uniformes de longueur, cinq pieds de long « & moins suivant la planche de maniere que de quelque façon qu’ils puissent estre, l’allée de millieu demeure toujours de cinq pieds de largeur ». Leur largeur ne pourra pas dépasser deux pieds et neuf pouces. Il est convenu que « s’il se trouve plus de cinq pieds pour la longueur desdits bancs les fieffataires prendront du terrain pour les alonger depuis l’allée jusqu’aux piliers » sans augmentation de prix. Enfin les déliberants donnent tout pouvoir au trésorier en charge « de recevoir les soumissions des habitants qui prendronts des bancs en fieffe & dont il representera son memoire ».

L’acte porte les signatures du curé, du sr. de Durécu Ruallem, d’Hervé Fouquet de Réville, de Lescroël (Étienne-Noël), prêtre, de Louis Massieu, du sr. des Monts Lescroël, de (Richard?) Vallognes, trésorier, et les marques de Catherine Jouan, veuve de François Le Jeune, et de Marie Gosselin, veuve de Jean Le Jeune2.

Des réparations urgentes à faire à l’église : imposition spéciale

Un peu plus tôt dans l’année, le 13 juillet, le sgr. de Réville, le sieur Le Sauvage (Hervé-Guillaume, écuyer), le curé (Jean-Baptiste Porin), les prêtres, et autres gentilshommes et habitants de la paroisse de Réville, s’étaient déjà réunis « pour deliberer au sujet des reparations urgentes et necessaires à faire au nef de l’eglise dudit lieu ».

Constatant que les revenus du trésor de l’église n’étaient pas suffisants3 pour satisfaire auxdites réparations et que les fonds qui s’y trouvaient étaient médiocres eu égard à la somme requise, ils s’accordèrent sur la nécessité d’avoir recours aux habitants pour trouver cette somme en faisant une répartition “à raison d’une certaine somme par vergée de terre que possedent lesdits habitants et autres possedants fonds” dans la paroisse.

Ils consentirent donc à ce que soit fait un “rejest” (rejet : réimposition spéciale) de 8 à 10 s. par vergée à proportion du prix qu’atteindrait le projet lors de l’adjudication des travaux. La somme recueillie serait affectée au trésor et utilisée à faire construire et refaire à neuf tant en bois que couverture la nef et les deux bas-côtés de ladite église en entier, y compris le portail ainsi que les “deux ossiers d’auprès” auxquels il sera fait deux arcades “pour communiquer dans ladite eglise, attendû qu’elle n’a point assès d’etendue pour contenir les habitants, lesquelles arcades seronts faites après la couverture comme plus urgentes, etant en ruine”.

Les délibérants décidèrent aussi que tous les vieux bois provenant de l’ancienne couverture seraient vendus au plus disant au profit de l’église, ainsi que les poutres. La nouvelle charpente serait faite et disposée de façon à recevoir un lambris quand les habitants jugeraient à propos d’en mettre un.

Pour faire faire les travaux et s’entretenir avec les ouvriers, les délibérants nommèrent Mr Mahaut, prêtre, Mr Lecroël, prêtre, Mr de Durescu Ruallem, écuyer, Me Louis Massieu et Me Thomas Le Tort, sr. de Jonville, lesquels “visiteront le bois et les matereaux fournis par les ouvriers”, et Me Julien Massieu pour collecter les deniers répartis sur les possédant fonds, lequel ne serait “point tenu de poursuivre les refusants mais seullement d’en avertir la communauté pour y prendre les mesures necessaires”.

L’acte comporte les signatures de plusieurs des notables de la paroisse4.

Guillaume Roupsard

Notes et références

1. Charles-François Vaultier, sr. des Vauxbourg, procureur du roi au bailliage de Valognes, avocat en parlement, fils de Charles-François, sr. des Vauxbourg.
2. Notariat de Barfleur. 11/09/1757. AD50 5E8672 (n°85). La supplique du sgr. de Réville est annexée à la minute.
3. L’abbé Louis Hulmel écrit qu’en 1698, année où eurent lieu d’importantes réparations sur le clocher (foudroyé dix ans plus tôt) et sur la couverture de l’église de Réville, le trésor disposait de 30 boisseaux de froment, de 600 bottes de paille d’orge dont 200 à mettre dans l’église la veille de Noël, de 2 poules et de 92 l. 10 s. 6 d. provenant de la part lui revenant sur les rentes à charge d’obits, de la location des champs, de la vente des fruits du cimetière de l’église et de la chapelle Saint-Éloy, des locations de bancs, des droits sur inhumations dans l’église, à raison d’une livre par personne, et des donations faites par Nicolas Le Fauconnier et André Gosselin, prêtres, de 10 l. chacun pour la chapelle Saint-Éloy. En outre le sr. de Glatigny (André Fouquet) devait 10 boisseaux de froment de rente pour le pain et le vin de Pâques pour la communion (fondation faite par Guillaume Rouxel en 1524). Les revenus du trésor étaient donc plutôt modiques et il fallait nécessairement recourir à des souscriptions pour les grosses réparations. Mais d’après le même auteur, en 1750, la recette de la fabrique s’élevait à 971 l. 2 s. 6 d., et se serait donc considérable accrue (x10) à la veille des événements évoqués ici, sauf erreur de l’auteur. Et Hulmel ajoute que Porin, le curé, fit faire le tabernacle du maître-autel en 1747 et que cela coûta 92 l. 10 s. 6 d., montant qui correspond – au denier près – à la recette du trésor en 1698… Affaire à creuser donc (Notes manuscrites de l’abbé Hulmel. Dossier Réville. AD50 140J103).
4. Notariat de Barfleur. 13/07/1757. AD50 5E8672 (n°21).