Un haut lieu méconnu de la libération de Cherbourg

En ce 80e anniversaire du débarquement en Normandie, j’aimerais vous parler d’un site important et hélas méconnu, laissé à l’abandon. Il est situé sur un magnifique terrain privé, dans les hauteurs de Cherbourg, et mériterait d’être réhabilité au même titre que les batteries du Roule car il a marqué la libération de Cherbourg. Il s’agit des carrières de St-Sauveur.

Un premier affaissement s’est produit dans les années 70 mais le site a été visité pour expertise seulement le 5 juin 2015 par la BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) à la demande de la sous-préfecture de Cherbourg et de la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) de Basse-Normandie. Ce qui a mis en avant des infiltrations récurrentes à travers le béton qui, à long terme, vont venir remettre en cause la stabilité de l’ouvrage. Ce qui sera problématique sachant que ces galeries passent notamment sous les terrains construits cadastrés sous les numéros 615 – 616 – 594, 316 à 311, 386 et 387 ainsi que sous la voirie (voir le rapport complet).

C’est un réseau couvrant 4000 m2 de quatre galeries parallèles et longitudinales de 3m70 de haut pour 4,80m de large, orientées NE-SO. Une galerie – la plus longue – mesure 105m de long et débouche sur un accès non terminé à un jardin, et les trois autres mesurent 85m de long. Ces quatre galeries principales sont reliées entre elles par d’étroits couloirs bétonnés. Elles sont recouvertes d’un enduit d’étanchéité – qui n’est plus efficace – puis maçonnées de briques et parfois recouvertes de crépis. Les galeries étaient également divisées en box, séparés par des murs en briques.

La construction devait abriter un poste de commandement, une infirmerie et des salles. L’alimentation électrique était assurée par des groupes électrogènes. (Voir également le reportage France 3 du 24 novembre 2017 avec Stéphane LAMACHE).

Ce réseau, situé sur une ancienne carrière de schiste, était destiné à abriter l’état-major de la Kriegsmarine installé à la Villa Maurice quelques centaines de mètres plus haut. Une des galeries relie d’ailleurs cette villa. Près de 1 000 prisonniers, principalement russes et ukrainiens mais aussi des déportés ont creusé ces galeries à partir de l’automne 1943 dans des conditions précaires.

Le Débarquement ne leur a pas laissé le temps de finir. Lors de la bataille de Cherbourg, pour se protéger, le général allemand Von Schlieben et l’amiral Hennecke ont décidé d’établir leur PC sous terre et s’y sont réfugiés avec 800 hommes, comprenant des officiers, des hommes de troupes et des blessés.

Villa Maurice en juin 1944 (Source : US Army)
Source : US Army

Le 26 juin 1944, La 79e division d’infanterie commandée par le général  Joseph Lawton Collins prend le  fort du Roule. Vers 14h00, les soldats du 39e régiment d’infanterie de la 9e division commandés par le Major général Manton S. Eddy se sont présentés à l’entrée du souterrain. Sachant la guerre perdue  le général von Schlieben, l’amiral Walter Hennecke (que vous apercevez au centre de la photo ci-dessous, séparé par un soldat Américain)  et leurs hommes, sont sortis pour se rendre aux troupes américaines.

Source : US Army
Source : US Army

Le 26 juin 1944 à 16h00, Walter Hennecke et Karl-Wilhelm von Schlieben furent emmenés au château de Servigny à Yvetot-Bocage. Sur la photo ci-dessus, de gauche à droite et au centre, nous pouvons voir Walter Hennecke, Karl-Wilhelm von Schlieben et Joseph Lawton Collins.

Source : US Army

Photo ci-dessus : Walter Hennecke signe la reddition de Cherbourg dite « traité de Servigny ». Ce traité marqua un moment décisif pendant la Seconde Guerre mondiale.


L’anecdote familiale : Après la guerre, ce lieu est devenu le terrain de jeu préféré des enfants du quartier et des moins jeunes. Cependant, il faut savoir qu’il restait encore des munitions sur place, et certains jouaient à des jeux dangereux.

Mon père habitait au 61 rue Carnot, un peu plus loin. Alors âgé de 15 ans en 1945, accompagné de son frère Édouard âgé de 13 ans, il s’est amusé un jour à dévisser des balles et à répandre la poudre au sol. Ils l’ont ensuite enflammée dans une galerie, en direction de ce qu’il m’a indiqué comme étant, d’après lui, un obus. Ils étaient contents… Cela a fait un vacarme de tous les diables dans tout le quartier.

Mais en y repensant avec l’âge venu, il m’a confié sa stupidité et qu’il aurait pu mourir avec son frère ce jour-là. Survivre aux bombardements successifs de Cherbourg, survivre à l’effondrement d’un moulin quand il était réfugié du côté de St Côme du Mont dans de la famille et finir sa vie bêtement dans une galerie. Oui, il fallait vraiment être stupide. Ce n’est d’ailleurs pas la seule chose stupide qu’il ait faite avec son frère. Il faut savoir qu’à l’époque, il y avait un escalier à moitié détruit qui montait le long de la Montagne du Roule. Ils ont entrepris de le gravir, et arrivés à mi-chemin, ils se sont retrouvés coincés ; les marches branlantes manquaient de les faire basculer à tout moment en contrebas. Ils sont redescendus avec peine, à quatre pattes en marche arrière , prudemment et avec un temps qui leur a paru des heures. Ah, la jeunesse !

David Châtel.