Retour à la maison hantée de la rue E. Liais à Cherbourg

L’article que j’ai rédigé le 6 décembre 2021 intéressa fortement un Cherbourgeois – David DELAMOTTE – passionné d’histoire locale et plus particulièrement des faits divers de cette époque. Il contacta le diocèse de Coutances par mail pour obtenir des renseignements sur l’abbé DESMONS.

En retour le diocèse lui confirma avoir retrouvé dans ses archives la trace de ce prêtre mais aucune mention quant aux raisons de son décès, alors que la version officielle de l’époque était la maladie. Aussitôt, David, très intrigué, me contacta et nous avons mené une petite enquête très intéressante.

Tout d’abord selon les sources journalistiques nous avions un prétendu fantôme qui était tantôt la bonne de l’abbé DESMONS, tantôt la bonne de l’abbé JAMON. Ensuite cet abbé DESMONS ou JAMON aurait été assassiné avec sa bonne, le prétendu fantôme. Les deux abbés ont bien existé mais pas à la même époque.

Le premier – DESMONS – est décédé des suites d’une longue maladie dans sa demeure au 46 rue du Chantier comme le relate le Journal de Cherbourg dans ses colonnes du 4 juin 1837. Sa bonne quant à elle – comme l’indique le registre des décès – n’est pas morte le même jour ni dans les jours qui suivirent. Nous perdons même sa trace au décès de l’abbé DESMONS.

L‘éclair du 7 février 1908

Le diocèse de Coutances ne trouvant pas trace des causes du décès de l’abbé, David pensa à une cause honteuse, cachée et déguisée en maladie dans la presse.

Recensement de 1837

Quant au second – l’abbé JAMON – il était aumônier de la Marine et était en service à l’hôpital maritime le premier janvier 1906. Il pris sa retraite en 1926.

En lisant le Journal de la Manche du 1er février 1908 j’ai découvert qu’effectivement les événements se seraient bien produits au 46 rue du Chantier puisqu’il est évoqué que les faits se sont produits non pas aux numéros 54 et 52 mais quelques maisons plus loin. De plus la numérotation de la rue a été modifiée au changement de nom de la rue en E. LIAIS. Cet événement tragique s’est donc déroulé du côté impair de la rue E. LIAIS. Seule la bonne serait décédée.

Journal de la Manche – 01/02/1908

Donc tout porte à croire qu’avant Louise LESAULNIER, une servante vivait dans la demeure de l’abbé et aurait été assassinée en l’absence de celui-ci. Comme l’indique l’article de presse, le nom de l’abbé n’était pas DESMONS mais DEMONS, comme le prouve le recensement de 1837 (et encore moins JAMON…).

Ici se trouvait la maison MIGNOT

Notre fantôme est donc né des mélis-mélos de la presse, des transmissions orales qui vont avec leur lot de déformations ainsi que des superstitions de l’époque.

Pour David, l’abbé DESMONS avait une liaison avec sa bonne. Il fût assassiné et le meurtre caché au public pour le scandale qu’il aurait engendré.

De mon côté je me suis pris à m’imaginer un instant qu’il aurait pu avoir une crise cardiaque en besognant la bonne et cette petite mort fut maquillée en longue maladie .

Tout est possible. Lorsque nous n’avons pas tous les éléments en main tout est affaire d’interprétation au gré de l’imagination de chacun… La vérité est pourtant tellement plus simple.

Une servante assassinée, un prêtre qui décède dans la même maison quelques temps plus tard, une maison plus loin d’où proviennent – 71 ans plus tard – les hurlements d’une jeune femme en prise à des crises. Voilà la recette de la naissance de notre revenant hurlant. En effet un vieux prêtre de 72 ans vivant seul avec sa bonne – une petite jeunette de 52 ans – ça ébouillante l’imaginaire.

Toujours est-il qu’un ragot de 1837, dont son auteur n’a sans doute jamais envisagé qu’il passerait à la postérité, aurait inspiré au siècle suivant une histoire de revenant. Et 187 ans plus tard nous sommes ici entrain d’en parler. Moi ça me fascine. Pas vous ?

Il faut noter que dans wikimanche cette maison est nommée «la maison hantée». Elle devrait être renommée «la maison hurlante» car la seule maison ayant la réputation solide d’avoir connu un spectre est le 13 rue de la Polle.

Il ne nous reste à éplucher les registres de recensements d’avant 1837 pour trouver le nom de cette malheureuse servante. A suivre…

D. CHÄTEL


Sources :

A.M.C. (archives municipales de Cherbourg) registre du recensement de 1837.
«Le journal de Cherbourg» du 4 juin 1837.
«Gallica» en autre la croix des marins du 5 février 1905.
«Le journal de la Manche» du 1er février 1908.
«L‘éclair» du 7 février 1908.
«Google street View».