MOUCHEL de Sauxemesnil

Découvert par Christophe CANIVET.

Charles CANIVET, alias Jean de Nivelle (1839-1911), évoque à l’intérieur de l’article « UNE DYNASTIE MUNICIPALE » du journal Le Soleil du 8 mai 1879, une commune Normande constituée de centaines de MOUCHEL

Ces choses-là ne sont pas rares dans notre
pays, et je citerais une commune de
Normandie, assez vaste et peuplée où, il y a une
vingtaine d’années, on ne rencontrait que
des Mouchel. Il y en avait tant et tant que
pour éviter la confusion, chacun d’eux avait
un surnom caractéristique, la plupart du
temps appliqué d’après la profession exercée
ou emprunté aux habitudes et même aux
caractères physiques de l’individu. Sur les
registres de l’état-civil comme sur les rôles
des contributions, il n’y avait que des
Mouchel ; mais, le percepteur et le secrétaire de la
mairie, pour s’y reconnaître, étaient obligés
d’inscrire sur leurs registres, les noms
décernés comme signes distinctifs, à côté des
noms véritables. Bien plus, le nom patronymique
avait fini par être totalement oublié,
et si par hasard un étranger pénétrait dans
la commune pour affaires et demandait
l’adresse d’un Mouchel, on lui répondait
invariablement : « Connais pas! » parce qu’on les
connaissait tous, ou bien : « de quel Mouchel
voulez vous parler ? Nous sommes ici trois,
ou quatre Cents que nous appelons ainsi. »
C’est ainsi que l’on avait Mouchel-Godet,
ainsi nommé parceque, de tout temps, on
avait fabriqué de la poterie dans sa famille ;
Mouchel-La Planche, à cause de son état de
menuisier ; Mouchel-La Plume qui relevait
les matelas ; Mouchel-La Pinte qui passait
pour préférer le cidre l’eau, et une foule
d’autres Mouchel, issus évidemment de la
même souche, et qui, n’ayant point franchi
les limites de la commune, avaient fini, à la
longue, par peupler d’une foule de Mouchel
quelques lieues carrées de terrain.

Il ne précise pas de quelle commune il s’agit. Cette lacune est bien vite comblée dans le n° du 16 mai du Journal de l’Arrondissement de Valognes, repris par le Soleil du 20 mai 1879

Un jour, il y a de cela nombre d’années, un
gendarme de la brigade de Valognes avait été
envoyé à Sauxemesnil, porteur d’un ordre de
route pour un jeune homme du nom de Mouchel.
Quant aux prénoms et au surnom distinctif
de ce jeune homme, nous ne nous en souvenons
pas ou nous ne voulons pas nous eu souvenir.
Appelons-le, si vous voulez, Jean-François
Mouchel, dit la Vallée.
Le gendarme avait parcouru la commune de
Sauxemesnil toute entière, et la commune est
grande, divisée même en deux sections,
demandant Jean-François Mouchel à toutes les
portes et à tous les échos.
Personne ne connaissait Jean-François Mouchel.
Le gendarme s’en revenait tristement, sans
avoir pu trouver à qui remettre la feuille de
route dont il était porteur.
La nuit était proche, lorsque, dans un chemin
creux et défoncé, il rencontra un homme qui
revenait du travail des champ, son louchet et sa
fourche sur l’épaule
— Vous ne connaissez pas, lui demanda le
gendarme, un jeune homme du nom de Jean-
François Mouchel ? Je le cherche depuis ce
matin sans pouvoir le trouver.
L’homme réfléchit, passant eu revue dans sa
pensée les hameaux de la commune.
— répondit-il, Je ne le connais pas. Je
n’en ai jamais entendu parler.
A la lueur du crépuscule, le gendarme
relisait pour la dixième fois peut-être le nom du
jeune homme.
« Jean-François Mouchel, disait-il, ou Jean
François La Vallée « 
— Hélas demanda le bonhomme vous dites ?
Le gendarme repéta ce qu’il venait de lire,
mais plus distinctement cette fois.
— Ah ! Jean-François La Vallée. exclama
le paysan ; mais il fallait le dire tout de suite. Vous
n’êtes pas égaré, venez-vous-en avec moi, c’est
mon garçon ?
Il connaissait Jean-François La Vallée, mais
il ne connaissait pas plus que les autres Jean
François Mouchel.
Et voilà comme quoi le gendarme put à la fin
s’acquitter de sa commission