Le Révérend 1 siècle d’histoire

Une saga entrepreneuriale à Valognes

Par Thomas Gauthron


Le Révérend à Valognes est depuis l’année dernière l’imprimeur de notre revue « Les Cahiers de Généa50 ». La qualité est bien meilleure que l’ancien imprimeur, dont nous tairons le nom. Vous pourrez vous-même le vérifier puisque notre numéro 6 sort fin avril ! Mais là n’est pas le sujet de mon article, un élément m’a sauté aux yeux, voyons si cela vous fait le même effet :

Visiblement cet imprimeur a 100 ans cette année ce qui suscite ma curiosité. Je demande à mon sympathique correspondant commercial, s’il y a une personne de chez eux qui s’occupe des archives. Il me communique le numéro de portable d’Arnaud Le Révérend président de ladite société qui attend mon appel. Un « Le Révérend » qui dirige une entreprise « Le Révérend », cela sent la saga familiale… cela augmente mon intérêt ! Je regarde son profil sur internet pour savoir à qui j’ai affaire avant d’appeler. Diplômé d’une prestigieuse école de commerce (L’ESSEC), il approche de la cinquantaine. Nous sommes de la même génération 70, cela peut faciliter le contact 😉. J’appelle Arnaud, très sympa et intéressé par le sujet et nous passons un long et agréable moment où il me raconte ce qu’il sait :

  • Son arrière-grand-père avait racheté en 1923 le journal local « L’Union de Valognes » avec son imprimerie.
  • Il fonde à cette occasion la société l’imprimerie le Révérend
  • Et d’autres détails importants que je vous compterai dans la suite

Réciproquement il me pose des questions auxquels il n’a pas de réponse. Il sait, par tradition familiale, que son ancêtre a racheté le journal, mais il ne sait pas quand exactement en 1923 (pour fêter l’événement à la bonne date) ni qui était le précédent propriétaire ?

Je lui confirme que cette histoire est passionnante et que je me propose de faire l’enquête généalogique pour essayer de répondre à ses questions. Que j’aimerais avoir son autorisation pour l’écriture d’un article et que j’aurai besoin d’archives pour l’alimenter. Sans hésiter, il me donne son accord et les photos suivront. Mais démarrons l’enquête….

D’abord, excellente nouvelle, le journal l’Union de Valognes est numérisé entre 1894 et 1943 et mis à dispo sur le site de la médiathèque de Valognes ici.

La fiche Wikimanche du journal m’apprend que c’est un hebdomadaire dont le premier numéro date d’avril 1893 et qu’il s’est arrêté en 1944. La numérisation est quasiment complète.

Ensuite je décide de parcourir les publications de 1923 pour trouver la fameuse date… en espérant que la transmission orale et familiale soit juste (on a souvent de mauvaises surprises).


Il ne faut pas attendre trop de pages puisque dans la parution du 10 février 1923 un certain C-J LAMICHE informe ses lecteurs et amis, qu’après 30 années d’exercice, « Raymond Le Révérend de Bricquebec », lui succède à la tête du journal. S’ensuit la réponse de monsieur Le Révérend qui félicite monsieur LAMICHE et rappelle sa longue et fructueuse carrière tout en promettant, comme il est d’usage, de continuer et de développer l’ « œuvre » de son prédécesseur !

Zoom sur l’encart de gauche écrit par C-J LAMICHE et R. LE REVEREND dans l’Union de Valognes du 10 février 1923 :


Comme j’avais déjà les informations concernant la famille Le Révérend grâce à Arnaud, je me concentre sur ce monsieur LAMICHE. Ce nom n’étant pas courant dans la manche, je trouve rapidement sur Geneanet un candidat aux initiales de prénom « C et J ». Un certain Jules Constant LAMICHE né en 1857 à Equeurdreville et décédé à presque 83 ans à Aunay-sur-Odon (Calvados) en 1940. Ses parents demeuraient à Equeurdreville où il se sont mariés en 1848. Si sa mère Constance Eulalie HAMEL, est de Tourlaville. Comme je l’imaginais, son père – François LAMICHE – au nom peu normand, vient de Neuillé du département de Maine-et-Loire à plus de 300 km de sa ville adoptive. Ce dernier est dit Charpentier ou retraité de la marine, c’est sûrement l’explication de son exil dans une ville proche de la mer. Pour s’assurer que nous ne nous sommes pas trompés d’homme, Jules Constant LAMICHE est dit « typographe » dans un acte, puis est qualifié « d’imprimeur » lors de son mariage le 11 octobre 1890 à Cherbourg avec Mathilde Françoise HEMARD (originaire de Le Houlme en Seine-maritime).

1890 à Cherbourg – Signature « C J Lamiche » du marié


Le couple a eu au moins 4 enfants entre 1892 et 1898, l’aîné né à Cherbourg dont nous n’avons pas de trace ensuite, puis 3 filles nées à Valognes qui se marièrent soit à Cherbourg soit à Valognes.

Pas d’erreur possible, notre fondateur est bien Constant Jules LAMICHE (il signait « C.J. » donc avait interverti ses 2 prénoms en usage). Il crée à 36 ans le journal l’Union en 1893. N’ayant pas de fils pour reprendre et ses beaux fils ne devant pas avoir la fibre, il doit le revendre en 1923 âgé de 66 ans. Notons qu’il est l’oncle maternel de Gabriel REUILLARD (1885 – 1973) écrivain et journaliste normand reconnu, croix de guerre et officier de la légion d’honneur (voir ici).

L’histoire des LAMICHE et de l’imprimerie prend fin et l’Union de Valognes du samedi 2 mars 1940, par la voix de son président, rend hommage à son créateur :

M. C-J LAMICHE

A quelques heures de la publication du

présent numéro, le destin a laissé tomber

sur nos ateliers un rolle de deuil.

La nouvelle nous est parvenue en effet

jeudi dernier* du décès survenu chez ses        * le jeudi 29 février 1940

enfants à Aunay-Sur-Odon (Calvados), à

l’âge de 82 ans, de M. Constant Jules LAMICHE,

fondateur et directeur pendant plus

de trente années du Journal et de l’imprimerie

de L’Union de Valognes.

C-J LAMICHE – L’Union de Valognes ?

Un nom et le titre d’un hebdomadaire qu’il

sera impossible de jamais séparer l’un de

l’autre. Notre raison de commerce ? Une

entreprise dans laquelle son fondateur a

laissé, par de rudes et longues années d’un

labeur quotidien, une empreinte toujours

ineffacée parce qu’ineffaçable. Valognes ?

Une ville dont il devient le citoyen en 1893

qu’il aime foncièrement depuis lors et à

laquelle il sut donner à maintes reprises,

aussi bien depuis qu’il dût la quitter que

pendant les longues années qu’il l’habita(t),

des témoignages de fidèle attachement.

Ses concitoyens ? des hommes auxquels il

se dévoua de tout temps, alors même qu’ils

ne lui avaient pas encore confié le mandat

municipal dans l’exercice duquel il déploya,

comme partout ailleurs, une activité des

plus louables. Sa clientèle ? Un important

noyau de commerçants et d’officiers ministériels

qu’il s’employa à toujours bien servir.

Sa famille ? Un de ces moteurs puissant

qui forcent agréablement au travail

quand ils constituent la plus douce raison

de vivre. Sa Politique ? Une politique d’union

et de fidélité aux principes républicains

tels qu’ils sont admis aujourd’hui par

l’ensemble des bons Français. 1893-1923 ?

M. C-J LAMICHE fit œuvre utile et féconde.

A nous qui avons recueilli, il y aura tantôt

dix-huit ans, l’héritage que la fatigue et

le poids des ans l’incitèrent alors à nous léguer,

incombait la douloureuse mission de

rappeler ici en quelques mots, ce que fut

le fondateur de ce journal dont nous saluons

avec respect et avec émotion la mémoire.

A ceux qui le pleurent aujourd’hui et

plus particulièrement à ses enfants et

petits-enfants, nous adressons l’expression de

nos condoléances très sincèrement attristées.

R. L. R.


Intéressons-nous maintenant à notre patriarche Raymond Paul René LE REVEREND (1888-1946) qui achète l’affaire à 35 ans. Son prédécesseur le qualifie « de Bricquebec », pourtant il né à Rouen fils de Paul LE REVEREND et  Marie LE CLERC, tous 2 bien de Bricquebec.

Registre des naissances de Rouen (du 3 avril au 22 mai 1888 photo 177/181)Naissance de Raymond LE REVEREND le 22 mai 1888


Son père Paul est professeur, ce qui a dû amener la famille à déménager plusieurs fois au gré des affectations. D’ailleurs Raymond commence aussi une carrière de professeur comme un autre journal de Valognes l’explique dans un article.

Le 22 décembre 1923 article dans « le Journal de Valognes » :

« … Le premier prix a été donné pour le travail sur la ville de Vire ; le second a été décerné à M. Le Réverend, ancien professeur au lycée de Coutances, qui avait choisi pour sujet : Bricquebec pendant la Révolution. Originaire de Bricquebec M. Le Révérend est resté très attaché à sa ville natale et a fait une œuvre d’érudition sérieuse et vivante »


Comme quoi, si les 2 journaux étaient concurrents, il devait y avoir du respect entre eux, puisque cet article est postérieur au rachat de l’Union par ce même Le Révérend !

Raymond Le Révérend  (Archive famille Le Révérend)


Les années passent le journal et l’imprimerie se développent avec Raymond et à ses côtés sa femme Julia BOSQUET (1890-1976) qui gère la maison et l’aide dans ses affaires.


Vue Rue de l’officialité où était installée l’imprimerie (à droite au n°33) (Archive famille Le Révérend) 


Un commis dans l’atelier de l’imprimerie (Archive famille Le Révérend)


Nous rentrons dans la période sombre de la seconde guerre mondiale où tout journal n’a que 2 choix, fermer ou s’entendre avec le nouveau pouvoir en place. Raymond LE REVEREND vient de passer la cinquantaine mais il est atteint, déjà depuis quelques années, d’une handicapante sclérose en plaque qui rend la direction de son entreprise difficile. Ses 2 fils ont tout juste passé la vingtaine, trop jeune pour le remplacer.

Raymond Le Révérend (assis et déjà malade) avec sa femme Julia et leurs 2 fils Maurice et Jean. photo vers 1935 (Archive famille Le Révérend)


A la libération la quasi-totalité des média français (Cherbourg-Éclair le 12 juin 1944, Le Glaneur de la Manche le 2 juin 1944, L’Ouest-Éclair le 7 juin 1944, …) sont qualifiés de collaborationnistes et doivent fermer. Ainsi l’Union de Valognes est fermée par ordonnance « sur la liberté de la presse » des nouvelles autorités le 21 juin 1944, soit le lendemain de la libération de Valognes. Voici, le jour d’après (le 22), à quoi ressemblait la rue de l’Officialité de Valognes où résidait l’Union de Valognes :

AD50 13 Num 271 – Fonds de photographies américainesValognes le 22 juin 1944 « Deux civils marchant au milieu des gravats de la rue de l’Officialité »


Raymond meurt à 58 ans en 1946 des suites de sa longue maladie. L’ainé de ses fils, Maurice LE REVEREND (1920-2004), devient journaliste de guerre (notamment en Corée) à la grande époque de France soir. C’est son fils cadet  Jean LE REVEREND (1923-1980) qui reprend la direction de l’Imprimerie Le Révérend, qui elle continue.  


Baraquement US, dans lequel a grandi Marc LE REVEREND, situé à côté de l’imprimerie (aussi dans une baraque du plan Marshall). (Archive famille Le Révérend)


Jean Le Révérend (Archive famille Le Révérend)


Jean développe l’entreprise en diversifiant les activités. Par exemple il fabrique des emballages alimentaires, qui deviendront sa spécialité et qui vaut quelques collectors d’étiquettes de fromage !

Illustration Le Révérend


Dans cette période l’imprimerie déménage du 33 rue de l’officialité (centre-ville) à la zone d’activités de Valognes où elle se situe actuellement.

1979 – Imprimerie Le Révérend a déménagé Route d’Huberville ZA de la Tassinerie VALOGNES (Archive famille Le Révérend)


 Marc LE REVEREND succède à son père Jean et continue de développer et de moderniser l’entreprise familiale en ouvrant notamment des bureaux sur Paris.

1991 – inauguration d’une extension de l’usine – Marc Le Révérend (à droite)


Arnaud LE REVEREND, ayant acquis une brillante formation en commerce et gestion des entreprises, intègre l’équipe dirigeante sur des fonctions de directeur marketing et financier. Puis il reprend le flambeau en tant que président directeur général en 2008 date du départ en retraite de son père Marc.

2023 Arnaud Le Révérend

La vieille entreprise familiale se porte comme un charme puisqu’en mars 2023, elle vient d’absorber une jeune (tout est relatif) imprimerie d’Argentan nommé Graph 2000 (fondée en 1930 donc seulement 93 ans).

C’est cette tradition artisanale et familiale avec son histoire faite de succès et de quelques moments difficiles qui donnent sûrement un supplément de force et d’âme à cette belle entreprise Le Révérend qui continue son rayonnement en repoussant, déjà depuis longtemps les frontières de Valognes et maintenant celles de la Normandie !

Par Thomas Gauthron

3 réponses sur “Le Révérend 1 siècle d’histoire”

  1. Magnifique article. Merci Thomas et Mr Le Révérend pour la transmission des photos.
    Famille Le Révérend un peu étudiée pour des connaissances dans la Manche.
    Je suis en Lorraine mais d ascendance normande.

  2. Bonjour
    Je suis très émue en lisant l historique ce cette entreprise familiale. J’ai souvent entendu parler de la famille Le Reverend par mon père Albert Coudray et mes oncles qui se souvenaient de leurs belles vacances à Valognes. Je comprends maintenant le lien qui unit nos familles Paul Le Reverend a épousé Marie Juliette Clémentine Leclerc qui était la tante de mon grand père (sœur de sa maman). Merci je suis heureuse de connaître enfin quel lien unissait nos familles. Je suis souvent allée petite fille à Bricquebec où résidait la famille Hue et probablement une sœur de Marie Leclerc : Nathalie Leclerc mariée à un monsieur Hue.
    Sincères salutations
    Catherine Coudray Talon

    Mon cousin germain Jean Coudray

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