Au-delà de la généalogie, lorsque nous lisons des actes contenus dans le notariat, nous découvrons d’autres univers que celui des contrats de mariage ou des successions et partages de nos ancêtres. Parmi ceux-ci, l’un d’entre eux pourrait être intitulé : Le tir aux pigeons à Cosqueville ou une action de chasse prohibée au 17ème siècle et ses conséquences.
Type d’acte et parties en présence.
Il s’agit d’un accord, une transaction ou selon le terme de l’époque un « appoinctement ». Il est conclu entre le seigneur marquis de Saint-Pierre-Église, propriétaire des volatiles et l’un de ses vilains qui en a abattu d’un coup de fusil. Cet accord révèle d’une certaine manière la relation entre seigneur et habitants. Il est également possible de s’intéresser à la réglementation de l’époque où le privilège de volière était réservé aux nobles. Enfin, si l’accord a eu lieu, c’est avant tout pour éviter les affres d’un procès public et pour échapper aux sanctions infligées par la justice royale en matière de chasse.
Les faits.
Le seigneur de Saint Pierre Église dispose et use d’un droit de colombier sur l’étendue de ses possessions. Nicolas JEAN, fils de Marguerite LOQUET ou LOCQUEY a abattu fin février 1688 plusieurs pigeons d’un coup de fusil en toute illégalité. Il a été vu et risque une plainte pour ce crime.
Les règles en vigueur.
Le privilège du droit de colombier, au regard de la coutume de Normandie1 figure dans les appartenances de fief, ce qui le rend de fait réservé aux nobles. Outre le fait qu’il fut seul à être propriétaire des pigeons, il s’accompagnait d’une obligation pour ses manants d’en supporter les inconvénients notamment en période de semis ou de levée des graines.
La chasse est une distraction de gentilhomme et un privilège seigneurial. Le seigneur haut justicier dispose du droit de chasse dans l’étendue de sa haute justice, le seigneur local, dans sa seigneurie. Les roturiers n’ont pas ce droit sauf s’ils ont acheté un fief, une seigneurie, une haute-justice. Une ordonnance de septembre 16072 défend à toute personne de quelque condition qu’elle soit de tirer sur les pigeons d’autrui, même sur son propre terrain à peine de 20 livres d’amende.
Les sanctions prévues par la justice royale en cas d’infraction.
L’infraction au droit de la chasse est sévèrement punie. Même si la peine de mort avait été supprimée de la liste des sanctions en 1669, il subsistait dans les sanctions prévues par l’ordonnance, les galères, le carcan en jour de marché, la fustigation, le bannissement ou la flétrissure mais aussi la saisie des biens et la résolution des baux. Nicolas JEAN est donc passible de l’une ou plusieurs de ces sanctions.
Une autre solution consiste à passer un accord avec la partie adverse, en l’occurrence Bon-Thomas CASTEL, seigneur de Saint-Pierre-Église pour éviter un procès et c’est ce que Nicolas JEAN a accepté après avoir avoué sa faute. Il y avait un complice, Gilles GUERRAN mais nous ne savons pas ce qui s’est passé pour lui.
Transcription intégrale de l’acte notarié.
L’an mil six centz quatre vingt huit, le cinquiesme avril a Saint Pierre Eglise par devant le notaire dudit lieu soubzsigné, apres midy.
Fut present Nicolas Jean, lequel pour dudit lieu, lequel pour evitter les peines portez par l’ordonnance contre les tireurs de pigeons et le proceds criminel prest a intenter contre lui a la requeste de noble seigneur messire Bon Thomas Castel, chevallier, marquis de Saint Pierre, conseiller chambelan ordinaire du Roy et son bailly de Costentin pour en avoir tué d’un coup de fusil, quantité dans une piece de terre scize a Cosqueville nommez le Pladouay le dimenche vingt neuf iesme febvrier dernier a la complicité prest d’estre convaincus, auroit librement et sans contrainte, recogneu avoir commis ladite action et se seroit soumis a tout ce qu’il plairet [sic] audit seigneur, en ordonner.
Pourquoy, ledit seigneur aussy a ce present voullant pour quelquez considérations particillieres qu’il a pour sa famille, le traiter favorablement, il s’est contenté de le condamner à payer dans le jour de Pasques prochain un escu au tresor de ladite eglise a condition qu’il sortira dans le jour Saint Michel prochain de sa maison et de ladite parroisse ou il ne pourra jamais demeurer sans permission expresse dudit seigneur et lui cedera dans ledit jour la paisible possession et propriétté de ladite maison, granges et estables, telles qu’elles sont et sans y pouvoir rien degrader avec les cours et boelles et jardin ainsy que la piece de terre ou elle est scituez telle qu’elle se contient en ses hayes et clostures, le tout contenant environ deux vergez et demye, jouxte et butte de l’orient et septemtrion Christophle Michel, du midy ledit seigneur et de l’occident le chemin du marché dudit lieu allant a Cosqueville buts et costés, et une autre petite piece de terre en la plus grande partye occuppez de jeans et rossieres du contien de trois vergez ou viron jouxte jouxte [sic] et butte maistre Louis Guerran, sieur de longuemare, Pierre Gueret et le chemin de Lunarest[?] tant de but que de costieres à cause desquels a cause desquelles [sic] terres audit seigneur huit boisseaux d’orge, quarante sols, quatre poulles quatre journez au prey seigneurial et deux poulles le tout de rente seigneurialle dont il demeurera quitte et dischargé a la reserve du terme Saint Michel prochain et d’autant que lesdits heritages se sont trouvés exceder la valleur desdites rentes, de la somme de cent soixante dix livres, ledit seigneur a promis luy donner dans ledit jour ladite somme de cent soixante et dix livres en fournissant ledit remplacement pour Pierre Jean, son frere mineur et pour la dot de Catherine Jean, sa soeur mariez a Thomas Renouf et cependant de luy en payer intherest au denier vingt a commencer a courir comme dudit jour Saint Michel prochain, ce que ledit Jean a volontairement accepté et en a rendu graces audit seigneur qui s’est reservé la faculté de faire punir ledit Gilles Guerran, complice par les voyes ordinaires de droit.
A ce present, Jacques Mahaut et Margueritte Locqué sa femme, mere dudit Nicolas Jean, lesquels, pour le bien de paix et pour eviter les conclusions que l’on auroit peut prendre contre eux dans la suitte dudit proceds criminel ont vollontairement consenty a touttes les clauses dudit accord renonceant a tout et tel droit qu’ils peuvent pretendrent auxdites maisons mesnages et heritages et s’arrestant a la solvabilité dudit Nicolas fils de ladite Margueritte Locquey requerant seullement lesdits mariez audit seigneur qu’il leur soit permis d’enlever les jeunes arbres qu’ils ont mis depuis deux ou trois ans dans leur jardin, ce qu’il leurs a liberallement accordé, promettant lesdittes parties, chacun de leur part entretenir garantir et faire valloir tout le contenu au present, faict aux presence de Richard Lefebvre et Pierre Renouf fils Jean dudit lieu de Saint Pierre tesmoins à ce appellée. lecture faicte aux partyes.
[Suivent les signatures].
En marge : Fait audit seigneur
Fait audit Pierre Jean le 22 octobre 92
Source : Notariat de Saint-Pierre-Église. AD50 5E11312 (d’après les clichés de Pierre-Yves Jolivet).
Interprétation
L’accord accepté dans le texte permet :
1) De connaître la description des biens et des dettes de la famille du contrevenant.
* Maison, dépendances.
* Terres en propriété.
2) De prendre connaissance des sanctions infligées au braconnier.
* Amende au profit du trésor de l’église.
* Bannissement dans les 6 mois qui suivent la rédaction de l’acte.
* Rachat de tous les biens immobiliers par le seigneur.
3) De préserver un sentiment de mansuétude de la part du seigneur vis-à-vis de la famille du délinquant.
* Le logis de la mère du contrevenant est préservé au lieu de son choix
* La dot de sa sœur et une part d’héritage pour le frère mineur sont mis en réserve sur la valeur nette biens cédés.
* La requête de la mère pour retirer de jeunes arbres du jardin est agréée.
* Le contrevenant pourra quitter les lieux avec une partie du patrimoine familial vendu.
L’objectif reste de punir le contrevenant avec sévérité tout en préservant une relation correcte avec les autres membres de sa famille. Ils restent des habitants de son marquisat et participeront au développement de son domaine. Il faut noter que les parents du contrevenant participent et valident cette transaction. Pour autant il n’est pas possible de juger la qualité de l’évaluation des biens qui vont entrer dans le patrimoine du seigneur. Enfin le rapport de force ou de persuasion est clairement en faveur de Bon Thomas Castel.
Notes généalogiques
Pour les inconditionnels de la généalogie, nous pouvons reconstituer la famille de Nicolas Jean.
Nicollas Jean, baptisé à Saint-Pierre-Église le 1er octobre 1663 a épousé au même lieu, Guillemette Née, fille de Jean et de Marie Tronchel ou Tronquet, baptisée à Saint Pierre Eglise le 12 avril 1667
d’où :
- Marie Françoise, baptisée à Saint-Pierre-Église le 27 novembre 1687.
- Anne épouse à Cosqueville le 23 juillet 1716, Nicollas Baraud, de Carneville, fils de Jacques et de Marie Lefebvre.
- Marie Jeanne épouse à Montfarville le 7 mai 1716, François Bouin, de Montfarville, fils de Nicolas et de Marie de La Cour.
Nicollas est décédé avant le 23 juillet 1716 mais nous ignorons où il s’est retiré
Marguerite Loquet (Locquey), née vers 1640, sa mère, fille de Pierre et de Renée Guerran a épousé à Saint-Pierre-Église :
François Jean le 23/01/1659 (probablement inhumé à St Pierre le 4 octobre 1669)
- Catherine Jean baptisée à Saint-Pierre-Église le 8 mars 1660
- Pierre Jean, baptisé à Saint-Pierre-Église le 18 mars 1662 et y inhumé le 30 mars 1662.
- Nicollas Jean, baptisé à Saint-Pierre-Église le 1er octobre 1663
- Anthoine Jean, baptisé à Saint-Pierre-Église le 19 décembre 1666
- Pierre Jean, baptisé à Saint-Pierre-Église le 21 avril 1670
Jacques Mahault fils Nicolas et Guillemine Guillemelle le 14 septembre 1673 Nicolas Guerran fils Jean et Marie Boulland le 29 mai 1696
Auteur : Alain Aubril
Notes :
1. Pour en savoir plus sur le droit de colombier en normandie, consultez l’article de Jacqueline Musset « Le droit de colombier en Normandie sous l’Ancien Régime » Annales de normandie/1984/34-1/pp. 51-67. Le droit de colombier en Normandie sous l’Ancien Régime.
2. Didier Veillon. Observations sur la jurisprudence et la doctrine françaises relatives au droit de colombier (XVIe au XVIIIe siècle. Presses Universitaires de Rennes — Justice et sociétés rurales.