René de la Broïse (1877-1916), la carrière militaire tourmentée d’un jeune aristocrate de l’Avranchin.

Dans le registre du bureau de recrutement de Granville, une fiche individuelle très copieusement renseignée1 retient l’attention. Cette fiche retrace, avec la sécheresse inhérente à la nature de ce document, la vie, et le destin finalement tragique, d’un « fils de famille », au temps de « la Belle Époque ».

Le deuxième RE en Algérie (région de Tiaret et Laghouat).
Tableau du lieutenant de Vial

René Marie2 de la Broïse, dernier d’une fratrie de dix enfants, est né au Val Saint Père3 (canton d’Avranches), le 16 novembre 1877, de parents issus de familles d’ancienne noblesse de l’Avranchin. Maxime François Marie de la Broïse, ex officier de cavalerie, descend des seigneurs de la Chapelle Urée et barons d’Ardevon, et Stéphanie Marie Henriette de Mary, de la branche des de Mary implantée à Longueville4. Ces deux familles , très chrétiennes et légitimistes5, ont donné, et donnent à la fin du XIXe siècle, de nombreux officiers (dont des zouaves pontificaux) , prêtres et religieuses.

René , orphelin de mère à 9 ans, passe son enfance à Avranches, dans un hôtel particulier de la très aristocratique et catholique « rue du Boulevard sud », et suit une scolarité normale à l’école libre des frères d’Avranches6. Il s’engage le 4 mars 1898 au 47e régiment d’infanterie à Granville comme soldat de seconde classe. Promu caporal le 22 septembre suivant, il est cassé et rétrogradé moins de trois mois plus tard.

Le boulevard du Sud, dans la décennie 1900, est bordé
de maisons de maître et d’hôtels particuliers

Dés lors sa carrière militaire va se poursuivre durant 17 ans et répète le même schéma, engagements volontaires et sanctions disciplinaires s’enchaînant jusqu’à la veille de sa mort (cf. tableau récapitulatif plus bas). La période la plus difficile de son existence a sans doute été son retour à la vie civile, avec passage dans la réserve territoriale comme caporal (mars 1902 – mars 1905) et sa condamnation par la cour d’appel de Rouen, à 12 mois de prison (avec sursis à exécution7) pour abus de confiance en janvier 1905, suivi de sa rétrogradation de caporal à simple soldat .

Engagé dans la Légion Étrangère en mars 1905, sous un faux nom et une fausse nationalité (belge), à nouveau cassé du grade de caporal en 1909, il vit probablement ses années les plus équilibrées de 1910 à 1914, en Algérie puis au Maroc, au moment où ce royaume passe sous protectorat français. Il sert alors au 2e régiment étranger (RE) et participe aux combats dans la région de Casablanca (Chaouïa) et sur la voie de communication de ce port à Meknes et Fès, puis, à la veille de la guerre mondiale, aux opérations dans le Moyen Atlas (région de Khénifra).

Le 2e RE est envoyé en France, avec la majeure partie des troupes du Maroc, à l’automne 1914 et le caporal de la Broïse promu sergent à la fin de l’année.

Il combat en 1915 sur le front de Champagne, mais est transféré, à la fin de cette année, au 3e Zouaves en raison de nouveaux problèmes disciplinaires (« ivresse »), comme simple soldat. Il meurt au combat, le 10 juillet 1916, devant le village de Barleux, près de Perronne, au début de la première bataille de la Somme8.

Ses problèmes de comportement allant de pair avec des qualités guerrières, il est titulaire de la médaille commémorative du Maroc agrafe « Casablanca » et Maroc, chevalier de l’ordre du Ouissam Alaouite, croix de guerre, et reçoit la médaille militaire à titre posthume en 1920 : « est tombé glorieusement pour la France le 10 juillet 1916 au cours d’un combat devant Barleux, en faisant vaillamment son devoir. Ancien et brave soldat très méritant, a été cité ».

René Marie de la Broise aurait peut-être pu suivre la même voie que bon nombre des jeunes aristocrates de la fin du XIXe siècle9, en accédant au corps des officiers par la grande porte : Polytechnique, Saint Cyr, École Navale. A défaut, comme engagé volontaire, son instruction secondaire et son éducation lui permettaient de passer assez rapidement des grades de sous officier au rang d’officier. Sans doute un tempérament foncièrement rebelle, et le rejet des normes très contraignantes de son milieu social, explique -t-il cette existence en forme de ligne brisée.

Joel Tatard

Notes et références :

  1. Archives départementales de la Manche, 1R 2/90 – 1R 2/93, recrutement militaire, circonscription de Granville, bureau de Granville (1867-1929) registre matricule avec répertoire alphabétique, classe 1897, n° matricule 46.
  2. Le culte marial était très développé chez les de la Broïse, d’où la fréquence de Marie en second prénom Un parent et homonyme du soldat de la Broïse, le père jésuite René Marie de la Broïse, a publié, avant 1914, divers livres sur la vierge Marie.
  3. M. de la Broïse figure sur le monument commémoratif des morts de 1914-18 d’Avranches , ainsi que son frère aîné Joseph, mobilisé dans la garde des voies et décédé à Granville en 1915, de maladie .
  4. Camille et Pauline de la Broïse résident au château du Boullevert (un des deux fiefs nobles de la Chapelle-Urée possédés par les de la Broise, sous l’Ancien Régime).
  5. Maxime de la Broïse est un fervent « ultramontain », partisan du pouvoir temporel et de l’infaillibilité du pape) et, à ce titre, un lecteur du journal « l’Univers » de Louis Veuillot.
  6. Les fiches du registre matricule ne précisent le niveau d’instruction générale. Sa fiche du registre matricule lui donne la profession d’» étudiant ». Il ne figure pas parmi les titulaires du baccalauréat des années 1895 à 1897.
  7. Après la guerre mondiale il est amnistié à titre posthume.
  8. Le lieu de son décès ne correspond pas avec le positionnement de son régiment, alors engagé dans la bataille de Verdun.
  9.  Un tiers des élèves de Saint Cyr et près de 20% des élèves de Polytechnique sont issus d’établissements d’enseignement religieux, massivement fréquentés par les enfants de la noblesse [Cf général Henri JUNG, la République et l’armée, 1892, cité par Raoul GIRARDET, la société militaire dans la France contemporaine (1815-1939) , Plon 1952. Entre 1877 et 1898, deux généraux appartenant à la noblesse (Raoul Le Mouton de Boisdeffre – normand d’Alençon – et Joseph de Miribel, occupent durant 12 ans la fonction de chef d’état major général de l’armée.