Victor Ruaux poète de Barfleur

Par Serge Ruaux

Mon arrière grand père, Victor Ruaux (1840-1916) a vécu à Barfleur, à la Bretonne, comme presque tous les Ruaux de Barfleur. Il paraît être une figure de cette époque. Agriculteur maraîcher, il a été,  pendant de nombreuses années, conseiller municipal et premier adjoint au maire.

Il a œuvré, avec la pugnacité des Ruaux, pour que s’ouvre à Barfleur, au début du 20e siècle, la première école de filles (un livre racontant l’histoire de la première directrice de cette école va bientôt sortir, écrit par Michèle Letenneur…).

Érudit autodidacte, Victor Ruaux écrivait aussi des poèmes (acrostiche sur Barfleur, naufrage de la Blanche Nef, odes à la nature,…).

Ci dessous 3 de ses poèmes (en gras pour le début d’une nouvelle strophe) :

Poème Le Phare dédié au phare de Gatteville, vers la fin du 19e siècle, sûrement peu de temps après l’édification de cet ouvrage.

LE PHARE
Lance au loin tes feux, tes vagues de lumière

Jalon du grand chemin dont les peuples rivaux
Sillonnent ta carrière
Pour se donner la main.
Et moi, là, à tes pieds ô glorieux fantôme
Sous ton nimbe enflammé
Je dis qu’un triple airain, ceint le cœur de cet homme
Qui te tient allumé.
Quand dans les nuits d’hiver où soufflent les tempêtes
De l’âpre vent d’amont,
Ce veilleur attentif est là-haut quand ton faîte
Oscille comme un jonc.
Quand l’oiseau des tempêtes cherche en vain sur la plage
Son rocher de granit
Tes rayons flamboyants brillent encore davantage
O géant de granit

Poème Acrostiche :

Acrostiche
Baigne tes pieds de granit dans l’écume des flots
Abrite dans ton port ta barque qui s’arrête
Rapide et gouvernée par de gais matelots
Fils de l’océan, enfants de la tempête
La vague a crénelé les bords de ta ceinture
Embellie au printemps de verdure et de fleurs
Unissant à la fois la pêche et la culture
Riche et prospère sois toujours, Ô Barfleur !

Poème LA BLANCHE NEF : Victor RUAUX, le 18 septembre 1881. Pour ce texte, Victor se serait inspiré du récit non moins fameux d’Orderic Vital.

LA BLANCHE NEF
A toi Barfleur, à toi cette vieille ballade
Perle de ton histoire, écho de ton passé
Comme les flots du Raz s’écoulant sur ta rade
Vingt générations depuis lors ont passé.
Alors, c’était le temps des luttes féodales
De nos preux chevaliers, au corps bardé de fer
Quand ton port abritait des flottilles royales
Et que tes vieux marins étaient rois de la mer.
On entendait au loin les joyeuses volées
Des cloches de l’Eglise et celles du Couvent
Chantant le Te Deum, et les brises ailées
Répétaient l’hymne saint emporté par le vent.
C’était qu’un Duc Normand, Henri, Roi d’Angleterre
Ce grand vassal armé contre son suzerain
Avait signé la paix, et son armée entière
Allait prendre la mer au bruit des voix d’airain.
Sous le portail roman où naît déjà l’ogive
Le cortège royal s’avance avec lenteur
Et la foule bientôt se recule craintive
A ce seul cri : « Le Roi, le Roi » Quelle splendeur !
Alors un vieux marin, droit comme un mât de côtre
S’agenouille à ses pieds, et, lui offrant de l’or,
Lui dit : « Sire, mon père transporta le vôtre
Au rivage d’Hastings qui s’en souvient encor
J’ai mon navire aussi, la Nef aux blanches ailes
Aux gracieux contours, où cinquante rameurs
Font écumer la mer sous leurs rames agiles
et l’Océan pâlit à leurs rudes clameurs. »
Et le roi répondit : « Thomas, je te confie
Ce que j’ai de plus cher: ma fille et mes deux fils
Mais tu m’en répondras sur ta tête et ta vie
Car un trône attend tous ces enfants chéris. »
Et l’escorte reprit sa marche triomphale
Je crois encor revoir passer ces hauts barons
Chevauchant à travers la cité féodale
Et leurs coursiers hennir sous les lourds éperons.
Et la flotte partit à la haute marée
Seule la Blanche Nef retarda son départ
Elle emporte la Cour, la jeunesse dorée
Folâtrant sur le pont, lui causait ce retard.
A l’entrée de la passe, où un tonne noir
Oscille au gré des flots et des vents en courroux
Il était un rocher au bout d’un promontoir
Qui gardait le vieux port comme un sphinx à genoux.
On dit qu’aux premiers temps, on dit qu’aux premiers âges,
Quand les peuples chasseurs avaient des dieux cruels
Ce rocher trop fameux vit des prêtres cruels
Sacrifier leurs frères sur de sanglants autels.
L’oubli que méritait ce vieux peuple barbare
De son long voile noir cachait tous ses forfaits
Il en reste pourtant un usage bizarre
Qui nous conserve encore un de leurs rudes traits
Le premier Samedi de la nouvelle année
Avant que de s’asseoir au gai festin des rois
Une torche à la main lançant dans la vallée
Répète inconsciemment le cri des vieux Gaulois
A la lueur de ces feux errant dans la campagne
Sur le vaisseau qui part, un trouvère chantait
Ce chant lent, cadencé, que son luth accompagne
Pour l’écouter, ravi, le flot bleu se taisait
« Vogue ma Blanche Nef, vogue mon beau navire
Mon trésor, mon amour, mon léger cygne blanc
Vogue, la lune brille… et le barde soupire
Penche-toi calme et fier sur le sillon tremblant.
« Vogue, là-haut m’attend ma douce fiancée
La fille aux cheveux blonds du vieux thané saxon
Vogue plus vite encor, comme va ma pensée
A ta fenêtre ouverte écouter ma chanson
« Vogue, je lui dirai mes douces cantilènes
Et de sombres légendes et de beaux lais d’amour
A leur récit, j’ai vu pleurer des châtelaines
Et des guerriers pâlir aux chants des troubadours
Et le flot murmurait sur la carène blanche
Et le vaisseau glissait vers le rocher maudit
Où danse échevelée et sur un feu se penche
La perfide Hinta qui chantait dans la nuit.
Brûle, rouge brasier, brûle sur la falaise
Le pilote ébloui ne verra plus l’écueil
Car la mort est pour eux sous ton ardente braise
Et le flot frissonnant sera leur lourd linceul.
La folle brandissait sa torche sur l’abîme
Lorsqu’un cri terrible, immense, répondit
Il s’entrouve, il s’enfonce et soudain s’engloutit.
Pleurez, pleurez là-bas, vieux Roi sur votre trône
Et jeunes fiancés dans votre beau castel
Qui portera demain votre lourde couronne ?
Qui vous dira les vers du pâle ménestrel ?

2 réponses sur “Victor Ruaux poète de Barfleur”

  1. J’ai apprécié satisfaire à la lecture de « la Blanche Nef ».
    Merci à Serge RUAUX de rendre ainsi un hommage mérité à son ancêtre !
    Bien amicalement,
    Jeanine

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