Par Christophe CANIVET

Peut-être avez-vous remarqué ces quelques feuillets reliés par erreur à la fin de l’année 1695 du registre paroissial à Carantilly (vue 257 et les deux suivantes). D’après les intitulés des colonnes, il s’agit d’un rôle du quart-bouillon



Le quart-bouillon est une spécificité locale. Alors que, de manière générale, les habitants du royaume de France étaient soumis à la gabelle, l’impôt sur le sel prenait le nom de quart-bouillon sur nos côtes, dans les diocèses de Coutances, Avranches ou Bayeux. Ce nom explique presque tout. Pas de marais salants par chez nous. Il paraît qu’il pleut trop. On obtenait le sel en faisant bouillir le sable de nos plages. Et les autorités en profitaient pour prélever une taxe de 25% (soit le quart du bouillon).
En outre, la production de sel n’était pas entièrement libre puisque les sauniers devaient utiliser le matériel fourni par la Ferme Générale et la quantité de sel qu’on pouvait leur acheter était fonction du nombre de personnes présentes dans le foyer (plus de détails sur Quart Bouillon (Pays de) / Marie-Laure Legay). D’où ce rôle établi d’après les rôles de la taille pour contrôler le déroulement régulier des ventes et d’où aussi, inévitablement, la concurrence de « faux-saulniers » (qui eux, conservent le L de l’orthographe originale), faisant la contrebande du sel en dehors des limites légales.
Les présents feuillets ne représentent que quatre pages du rôle. À bien y regarder, on s’aperçoit que les chefs de famille qui y sont répertoriés sont tous des veuves, les n° d’ordre commençant bien au-delà du 150. Ce rôle est donc manifestement incomplet. Il manque des feuillets avant ceux ici reliés mais aussi après puisqu’on n’a ni la signature du rédacteur, ni la date du rôle.
On peut toutefois tenter de dater approximativement le document d’après les noms cités. Il aurait ainsi été établi entre le 23 janvier 1773, date de décès de Jean Baptiste LEDENTU, et le 11 mars 1779, date de décès, à Quibou, de Catherine DUBOSQ, la veuve de Jean MESNILDREY.
On notera aussi que peu de ces veuves apposent leur signature dans la première colonne, à l’instar de Marie GUILLET, la veuve de Jean (Baptiste) CORBET. C’est pourtant le seul moyen de connaître leur nom de jeune fille et donc le meilleur moyen d’éviter toute confusion par homonymie. La plupart du temps, leur signature est donc remplacée par celle de deux témoins, en l’occurrence, Guillaume PACARY « Rouxelière » (1721-1798), époux de Catherine CORBET (on reconnaît sa signature notamment sur l’acte de mariage de sa fille Anne-Catherine le 10 juin 1780) et son neveu par alliance et filleul Jacques HERMAN (1750-1783), expressément identifié comme frère de Marie Anne HERMAN lors du mariage de celle-ci le 25 septembre 1781, et donc fils d’Augustin HERMAN et de Marie Anne CORBET.
Sur le plan généalogique, ces quelques feuillets fournissent donc le nom de plusieurs chefs de famille dans un temps où il n’y avait pas de recensement. Ils précisent aussi leurs revenus, éléments qu’on retrouve aussi dans les rôles de dixième et de vingtième (disponibles sur le site des AD du Calvados). Il faudra quelques recherches complémentaires pour savoir si les sieurs PACARY et HERMAN avaient été désignés comme collecteurs de la taille pour toute la paroisse cette année-là, ce qui en ferait les interlocuteurs privilégiés de l’agent de la Ferme générale, ou si tout simplement, ils étaient les voisins immédiats des intéressées, ce qui voudrait dire qu’elles habitaient plutôt dans le sud de la commune, rive gauche de la Terrette.
Bref ! Ces rôles du quart-bouillon sont une source à laquelle on ne pense pas assez souvent… et rarement mise en ligne.
De quoi mettre un peu de sel dans vos recherches…
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