Viols dans la forêt de Montaigu en 1657

Le registre paroissial de Montaigu-la-Brisette de la période 1653-1668 contient, pour l’année 1657, deux baptêmes d’enfants, les 2 janvier et 12 novembre, qui seraient nés des viols de leurs mères, Margueritte LEROUX (âge non déterminé) et Gionne GISLES ( 20 ans) , dans « la forest de Montaigu ».

Carte de Cassini 1744 – Depuis le milieu du XVIIe siècle, les déboisements ont fortement réduit la superficie de la « forest de Montaigu », particulièrement au nord de la paroisse (secteur de l’église) où résidait la famille de Gionne GISLES.

Ce sont deux des trois viols mentionnés au XVIIe siècle dans les registres de Montaigu, le troisième concernant une des deux victimes de 1657 1. On n’en trouve guère dans les paroisses voisines dont l’état-civil de cette époque a été conservé 2. Ce type de violence rencontrait pourtant un terrain propice dans les 980 arpents (490 hectares) du bois de Barnavast, dont l’extrémité méridionale s’étendait jusqu’aux abords de Montaigu et dans les massifs forestiers de la paroisse (bois de la Roquette, bois de la Brisette…) dont subsistent des vestiges au sud de la commune3. La forêt, alors à peine entamée, était parcourue par les nombreux « errants » et par ses habitants plus ou moins marginalisés, les charbonniers et les ouvriers des forges notamment.

Les violences sexuelles ne devaient pas être tout à fait exceptionnelles mais le déni des communautés villageoises les recouvrait généralement d’un voile pudique. Au XVIIe siècle, le viol est d’abord perçu comme une atteinte à l’ordre social, fondé sur la famille et l’autorité paternelle et non comme une atteinte à l’intégrité de la femme4, telle qu’elle se déduira du préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tout homme est seul propriétaire de sa personne et cette propriété est inaliénable ».

Les agressions étaient aisément mises sur le compte d’un comportement provocant des filles ou d’une relation par consentement présentée comme un viol. En cas d’instance judiciaire, les juges avaient plutôt tendance à accabler les victimes, particulièrement les femmes mariées qui pouvaient se retrouver accusées d’adultère5. Il est probable que certains des enfants déclarés de père inconnu, nettement minoritaires dans l’ensemble des conceptions « ex illicito coïtu », ont pu naître de violences sexuelles pratiquées soit par des anonymes6, soit par des « maîtres », dans le cas des servantes, ou plus généralement par des hommes mariés dont il convenait de taire l’identité.

Pourquoi les deux femmes dont il est question ici ont-elles mentionné des situations de viol ? Est-ce du fait de l’insistance du vicaire de Montaigu, qui se soucie de faire attester la véracité des faits par les témoins de l’accouchement, quand d’autres prêtres ne s’en préoccupent guère ? Et si elles étaient consentantes, quel intérêt auraient-elles eu à camoufler un fait assez courant, dont ne s’offusquait pas trop l’opinion villageoise, particulièrement dans le cas des domestiques ?

Les deux femmes apparaissent après 1657 parmi les mères d’enfants illégitimes, l’une de façon réitérée et en invoquant un autre viol, l’autre, pour un enfant de père inconnu, sans mention de violences.

Margueritte LEROUX, qui n’a pu être identifiée dans les baptêmes de Tamerville, sa paroisse d’origine, devrait être placée comme domestique à Montaigu, où elle est délivrée, le 12 novembre 1657, par la sage-femme de la paroisse, sans le secours de son milieu familial, d’un enfant nommé Guillaume. Celui-ci, « fils naturel de Margueritte Leroux, » meurt à Tamerville où il est inhumé le 21 février 16727. Ne serait-elle pas la Margueritte au patronyme non précisé qui reparaît, le 3 février 1661, lorsque le vicaire de Montaigu baptise Blaise, « engendré en la paroisse de Tamerville par une fille nommée Margueritte ayant este cy devant servante chez le sieur de la Vente8 …. elle a dict que son enfant appartient à Jean Pouthas fils Léonard »? L’enfant, mis au monde par une sage-femme de Tamerville, est nommé par la mère du géniteur indiqué (Nicolle LAISNEY) et inhumé le lendemain comme « Blaise, fils de Jean fils de Léonard Pouthas ».

Gionne (Guionne) GILLES, fille de Robert GISLES et de Catherine POUTHAS a vécu plus de 82 ans (22 mars 1637-5 septembre 1719). Mais dans les treize années qui suivent la naissance de sa fille illégitime, rapidement décédée, toujours assistée de sa sœur Marie, épouse de Nicolas VOISIN, elle accouche de trois enfants : Pierre, le 5 juillet 1662, « des œuvres d’un homme à elle incongneu », François le 15 juillet 1669, « des œuvres d’un homme incongneu qui la surprinse par le chemin » et, le 23 octobre 1670 « , Marie, des œuvres d’un homme nommé Gilles de qui elle n’a put dire le surnom, du Val de Sére ». Il est très rare que les parturientes, durant le travail de l’accouchement, ne donnent pas le nom d’un père putatif. Gionne GISLES, en plus de ses quatre enfants hors mariage et de l’attribution de deux d’entre eux à des viols, se distingue aussi par son ignorance de l’identité des divers géniteurs.

Quoiqu’il en soit, il ne semble pas qu’elle ait été stigmatisée par la communauté villageoise et finalement, la quarantaine approchante, elle épouse, le 25 août 1676, André LE BOISSELIER, natif de Saint-Croix-Bocage, et met au monde, le 16 juin de l’année suivante, un fils (André), porté sur les fonts baptismaux par son frère utérin Pierre GISLES. Malheureusement André décédera à l’âge de sept ans.

J. Tatard


AD 50, 5Mi 1990 Montaigu-la-Brisette BMS 1655-1668

photo 17/134
Le deux— jour de mil six cent cinquante
et sept on a apporte en ceste esglise un
enfant femelle provenant de Gionne Gisles pour estre baptise
faisant inquisistion à qui appartenait et des œuvres
de qui estait led enfant Catherine Pouthas
et Marie sœur de lad. Gionne nous ont tesmoigné
avoir apprind de lad fille estant en son plus grand
travail que cestait pour un homme a elle incongnut qui
l’avait viollé et prinse par force dans la forest
de Montaigu comme elle cherchait du bois et ce
environ l’entrée du dit mois d’avril ce qu’ils ont
ateste et confirme( raturé) et apres
ce faict lad.enfant a esté baptisée et nommée
Marie par Marie Gisles led baptême faict par
led vicaire lesd jour et an susdits.

photo 20/134
Le douzieme jour de novembre 1657 on a aporte un enfant
masle pour estre baptise provenant ex illicito coitu de
Margueritte Leroux de la paroisse de Tamerville ledit
enfant receu par Guillemine veusve de Marin Latyre
sage fe en la paroisse de Montaigu laquelle nous a atesté
avec la fille Greard aussi avoir apprind de lad fille dans
son plus grand travail qu’il estait du faict du passant
qui l’avait surprinse dans la forest de Montaigu et
après ce faict ledit enfant a été baptise par moy
Pierre Greard pbre vicaire en lad paroisse de Montaigu
et nommé Guillaume par Gilles du Brisoy aussi de lad paroisse
aux presences de Clement Gonnouf custos lesd jour et an.


Mention marginale gauche, première ligne : « obiit in cemeterio sepulta« 


Notes :

1 Entre 1635 et 1675 (sauf 1674, année manquante) 46 baptêmes d’enfants illégitimes sont enregistrés à Montaigu, (16 de 1635 à 1654 et 20 de 1655 à 1675). Entre 1655 et 1675, le taux d’illégitimité est inférieur à 5% des naissances.
2 Les registres de Montaigu qui débutent en1572 et ceux de Tamerville (depuis 1624) n’en mentionnent aucun, non plus que ceux des paroisses voisines dont les registres débutent dans le dernier quart du XVIIe siècle.
3 En 1830, la forêt et les terres incultes (souvent liées au déboisement) couvrent encore 20% de la superficie communale.
4 A relier à la situation des femmes dans la Coutume de Normandie et au fait que, dans les actes des registres paroissiaux, l’identité patronymique des femmes mariées n’apparaît pas (sauf raisons de nature juridique : par exemple dans les baptêmes d’enfants illégitimes, les sage-femmes et les témoins féminins attestant de la véracité des déclarations).
5 Une vision d’ensemble dans Pierre Vigarello, histoire du viol XVI-XXe siècle, éditions du Seuil 1991 et, pour le XVIIIe siècle mais intéressant, Enora Peronneau Saint Jalmes, crimes sexuels à la fin de l’Ancien Régime Perrin 2021.
6 Montaigu-la-Brisette, 13 juin 1675, baptême de François, fils de Madeleine Legendre :  » il était pour un passant »
7 Margueritte Leroux n’apparaît pas (sauf erreur…) dans les registres de Tamerville et Montaigu des cinq décennies suivantes.
8 Jean du Brisoy, de Montaigu-la-Brisette, inhumé le 28 février 1662, âgé d’environ 80 ans.