Il n’est pas fréquent de trouver des mentions de routoirs dans le notariat, c’est pourquoi cet acte a immédiatement attiré mon attention. Le 29 janvier 1591, par devant Robert Lescripvain, tabellion à Réthoville, Jacques Auvrey de la paroisse d’Angoville en Saire baille à fieffe un terrain à Jean Robine de la paroisse voisine de Vrasville, avec le droit d’y aménager un routoir (mais aussi un lavoir pour son linge).
Quelques années plus tôt le sieur de Gouberville faisait mettre son lin et son chanvre à l’eau par ses gens du Mesnil-au-Val. Mais où le faisait t’il rouir ? Le journal ne le précise pas.
Il devait y avoir de nombreux ouvrages sommaires de ce type dans nos campagnes autrefois, un petit patrimoine qui n’a pas ou peu laissé de traces aujourd’hui, d’autant que certains auraient été convertis en lavoirs par la suite. Qu’y mettait-on : du chanvre, du lin, du haon ? Pour de l’auto-consommation ou pour générer des revenus d’appoint ? On sait que le rouissage par immersion dans des bassins entraînait pollution de l’eau et odeurs nauséabondes. Quel était le droit qui encadrait l’implantation et le bon usage des routoirs à cette époque, était-il respecté ? Que dire du site choisi : proximité de la ressource en eau et « vidange » éventuelle dans le marais ? Éloignement des habitations ? Au final un acte très court mais qui suscite de nombreuses interrogations pour le profane que je suis, qui sont autant de pistes de recherches passionnantes (historiques, agricoles, économiques, juridiques…).
Transcription :
L’an mil Vc quattre vingtz unze, le mercredy vingt neufiesme jour de janvier à Restoville, en la maison dudict Lescrivain, neuf heures de mattin.
Fut present Jacques Auvrey de la parroisse d’Angosville. Lequel, volontairement, par forme et maniere de fieffe, affin etc., à Jean Robine de la parroisse de Vrasville, à ce present, acceptant etc., droict de faire construire et bastir ung laveur1 [pour] son linge et lange, et un routeur à rouyr ses lemfoys2 avec une fontaine à puyser de l’eau, le toult à prendre dans une piece de terre en closture assize en ladicte parroisse de V[r]asville, nommée la Haniere.
A faire lesdicts laveur, routeur et fontaine aux endroictz plus propres à ce faire avecques le droict [de] passage pour y aller par ledict Robine puyser de l’eau et à toutes ses aultres affaires requises et necessaires pour son service. A l’entour duquel laveur il poura planter des saulx3 pour empescher l’injure du maulvais temps, par le moyen que ledict preneur entretiendra la haize ou haiseau qui sera par luy mis à la bresche qui sera faicte pour aller ausdicts laveur, routeur et fontaine.
Et est la presente fieffe faicte par le prix de douze deniers tournoiz de rente fontiere par chacuin an que ledict Robine en sera tenu et se submet et oblige en faire et payer affin etc., au terme sainct Michiel en septembre, à faire pour ce exercer sur la fieffe dessusdicte sur chacuim pied pour le toult et sur tous les aultres biens meubles et heritages presentz et advenir et des ses hoirs et sans toutesfoys autre altribution de droict au fondz, fors que pour les affaires devant dictes et pour y aller avecques la charette sy besoing est.
Et à ce etc., ilz obligerent chacuin biens. Presentz à ce noble homme Françoys de Hennot, sieur de Haccouville, et Jean Neel de Restoville qui ont signé et merqué comme tesmoings etc.
Écritoire de Réthoville. AD50 5E8584.
L’endroit où se situait ce routoir, une parcelle nommée La Hanière, n’a pu être localisé sur le cadastre ancien de Vrasville car le toponyme a changé, mais elle devait se trouver en bordure de marais, comme c’est le cas à Réthoville, la paroisse voisine, pour une pièce de terre elle aussi nommée La Hagnière/Hanière4. Une hanière désigne dans le nord du Cotentin un lieu où pousse le haon. Le ha(o)n, du vieux scandinave « hampr » ou Cyperus Longus (souchet odorant ou souchet long) croît dans les endroits marécageux. Dans le cadastre ancien les parcelles nommées ainsi peuvent être des hanières naturelles ou cultivées mais aussi d’anciennes hanières, c’est à dire des labours ou des herbages gagnés sur les hanières naturelles ou bien situées à leur contact5.
A quoi ressemblait ces routoirs ? La découverte d’un muret entourant une mare artificielle lors d’un chantier de débroussaillage des abords de la mare de Vauville dans la Hague a permis de mettre en évidence la présence d’un routoir traduisant une probable activité de rouissage du chanvre ou du lin6. Sous toutes réserves, notre petit routoir de Vrasville7, aménagé dans le même contexte de marais littoral, pouvait donc avoir l’aspect d’une fosse entourée d’un muret ou d’une margelle de pierre, l’ensemble doublé d’une rangée de saules.
Signalons enfin que le plan des mielles, mares, marais et landes de la paroisse de Réthoville, dressé en 1766, indique que la dune du lieu servait alors de pâture mais aussi à sécher le chanvre8.
Guillaume Roupsard
Notes et références :
1. Lavoir ou bassin aménagé pour laver.
2. Ce terme désigne en général un paquet de fibres (la filasse) qu’il reste à peigner avant le filage, le résultat quasi brut du rouissage en quelque sorte. Mais par extension il semble désigner ici les tiges végétales qui seront mises à rouir par immersion dans le routoir. On trouve fréquemment ce terme de lemfois (dans ses diverses variantes orthographiques) dans les inventaires après décès des meubles de particuliers : il y a souvent dans une des pièces de la maison quelques paquets de lanfois posés près des quenouilles, troards /troa et autres rouets.
3. Saules
4. Sources : États de sections de 1822 de Réthoville, section B1, parcelles n°36 à 41, et états de sections précadastraux de 1800.
5. Sources : Françoise Girard. Les noms de lieux du canton de Beaumont-Hague. Thèse de l’évole de chartes (1971). SAHM, publications multigraphiées, fasc. 14, 1972, p.95 & Yves Petit-Berghem. Le déterminisme des landes atlantiques : quelle réalité ? Cybergeo : European Journal of Geography. Politique, Culture, Représentations, doc. 240. Mis en ligne le 27 juin 2003.
6. Marie-Léa Travert. Réserve Naturelle de Vauville. Plan de gestion 2018-2027. Vol A – diagnostic, p.87.
7. Vrasville, Angoville-en-Saire et Réthoville, auj. commune de Vicq-sur-Mer.
8. BNF cote GECC 2362, planche 64 (en ligne sur Gallica) ou version du fond hydrographique de la Marine, cote Ge SH PF 4114, planche 64.