Je vais vous conter l’histoire d’un revenant Cherbourgeois qui, au regard des faits, aurait pu se dérouler au Moyen Âge, et pourtant, nous sommes bien au tout début du 20ème siècle.
Notre histoire se déroule au 52 rue Emmanuel Liais à Cherbourg. C’était une froide et sombre nuit d’hiver, en l’année 1908.
Il y a fort longtemps l’abbé Desmons (ou Jamon suivant les sources journalistiques) et sa domestique ont été assassinés à cette adresse. C’est à présent la veuve d’Auguste Langlois, sa fille Marie et son fils Noël, prêtre, qui occupent les lieux.
Depuis quelques semaines, plusieurs fois par jour ou bien la nuit, des cris à vous glacer d’effroi retentissent dans le quartier et personne ne peut déterminer s’ils proviennent de la maison Langlois ou de la maison Mignot, un débit de boisson où vivent Jean Charles Alexandre Mignot, Aimée Lenormand, son épouse, ainsi que leur jeune domestique1.
C’est alors que la mémoire collective se réveilla : tous se souvinrent de la pauvre domestique du prêtre qui fût autrefois assassiné en ces lieux. Ce ne pouvait-être qu’elle, revenue d’outre-tombe, hantant la maison Langlois en poussant des cris terrifiants.
Les jours passèrent et les habitants du quartier purent enfin déterminer que le revenant venait hanter plus particulièrement le débit Mignot. Un esprit parmi les spiritueux. Ce n’était pas banal.
22 janvier 1908, 1h du matin. En présence de M. Leneveu, le sous-préfet, de M. Oudaille, le commissaire en charge de l’enquête, et de quelques curieux, les époux Mignot épaulés de quelques voisins et de cochers se positionnaient devant le débit de boisson à présent nommé «la maison hantée» ou «la maison verte», munis de fourches , fouets et torches, se promettant d’écharper le revenant s’il se présentait. Les cris, hélas, ne se firent pas entendre cette nuit là. Le fantôme avait dû avoir peur de se prendre un coup de fouet ou de fourche sur les fesses ou de se faire brûler le linceul.
Le matin du vendredi 7 février 1908, vers 11h, des cris se firent de nouveau entendre et la police recensa près de 500 personnes réunies dans la rue. Cette masse populaire allait de la préfecture Maritime jusqu’en haut de la rue Christine. Le commissaire Oudaille en faction au moment des faits, sonna à la maison Langlois. Il n’y avait que la domestique en la demeure. Des policiers fouillèrent l’endroit et le commissaire ferma les fenêtres donnant sur la rue. Ouvrit les fenêtres donnant côté jardin, au 2ème étage et se mit à hurler. Les cris ne furent que faiblement entendu. Il revint à 14h escorté de M. Féron, adjoint, et de M. Billard, commissaire au central de police.
Ils pénétrèrent cette fois-ci dans le débit Mignot où durant l’heure de midi des milliers de curieux étaient venus. L’établissement était alors bondé de consommateurs et de photographes. Le comportement de la domestique semblait étrange. Elle faisait des allées et venues entre le débit et l’étage et c’est au cours d’un de ses passages que deux cris retentirent de nouveau. Les policiers montèrent au premier étage et trouvèrent une pelle à main dans les marches des escaliers, un balai renversé et des paillassons en désordre. A n’en pas douté quelqu’un avait fui précipitamment.
M. Oudaille, bien peu effrayé, monta au 2ème étage et répéta la même opération que le matin en criant par la fenêtre. Cette fois-ci tous entendirent ses cris. Pour lui, le doute n’était plus permis : une personne de l’établissement Mignot était l’auteur de la supercherie.
On retrouva la jeune domestique qui fût accompagnée au commissariat pour y être entendue. Au bout de près de trois heures d’audition, la pauvre jeune fille, très pâle, âgée d’à peine 18 ans, avoua, honteuse, qu’elle avait de temps en temps des crises et qu’après ses crises elle ne se souvenait plus de grand chose.
La pluie au dehors commença à tomber. Il fût conclu que M. Mignot ne pouvait ignorer l’état maladif de la malheureuse et en avait profité pour se faire beaucoup d’argent sur le dos des crédules venant consommer dans son établissement dans l’espoir d’entendre ou de voir le prétendu fantôme. La jeune fille fût placée le jour même dans une autre famille. Certains habitants déclarèrent avoir entendu des clameurs après le départ de la jeune fille mais rien ne fut prouvé et le calme revint dans la rue Emmanuel Liais.
David Châtel.
Notes :
- Sur le recensement de 1906, nous trouvons une domestique du nom de Marie Le Terrier, mais en 1908 elle fût remplacé dans ses fonctions par une jeune personne dont l’identité m’est inconnue. Source : registre du recensement de Cherbourg pour l’année 1906 – Archives municipales de Cherbourg.
Sources :
« Le journal » du 23 janvier 1908
« L’ouest Eclair » du 08 février 1908
« Journal de la Manche et de Basse Normandie » du 12 février 1908
« L’écho du Merveilleux » du 15 février 1908