Analyse autour d’un acte acheté dans une Brocante

Car parfois l’analyse d’un acte peut emmener le chercheur curieux très loin, je vous propose de vous perdre dans mes recherches autour d’un acte acheté par Pascal Levieux et la méthodologie employée point par point, à la fois pour ceux qui débutent la généalogie et qui se demandent comment recueillir des renseignements sur leurs ancêtres et ceux qui s’intéressent aux familles mentionnées dans cet article.

I° Découverte de l’acte et mise en place du squelette de la famille DIGARD

Pochette rose : 22 Février 1832
Partage par Mme Veuve DIGARD à ses enfants (ill.1).

C’est une Femme, elle est veuve encore vivante et elle partage quelque chose avec ses enfants. Ouvrons vite cette pochette pour savoir la suite.

“Par devant Maître MORIN et son collègue, notaire à Cherbourg, soussigné.
Fut présente Dame Marie Suzanne LEVALLOIS, vivant de son bien, demeurante à Cherbourg, veuve de Monsieur Jean-François-Pierre
DIGARD
[…]”.

Allons faire un petit tour dans la base de Généa 50. Ce couple ne s’y trouve pas.
Ce Monsieur Jean-François-Pierre DIGARD est décédé avant 1832 et sa femme est demeurante à Cherbourg.

ill. 1.

Allons faire un tour dans les Tables decennales de Cherbourg (ill. 2) :

Cherbourg, 1823-1832, 4E 1/9 page 156/233 : Rien
Cherbourg, 1813-1822, 4E 1/8 page 146/218 : Un individu correspond.

ill. 2.

Allons voir l’acte de décès de ce Monsieur en date du 7 février 1817 : Cherbourg, 1817, 3E 129/48, pages 11 et 12/106. Monsieur Jean-François-Pierre DIGARD époux de Marie Suzanne LEVALLOIS. C’est bien lui.

Nous apprenons des choses intéressantes. Il vivait de son bien, il est décédé à l’âge de 51 ans en son domicile à 03h00 et demi du soir, ce jour, rue Grande Vallée, à Cherbourg. Il est né à Saint-Germain-des-Vaux et ses parents sont originaires de cette commune. Ils sont décédés . Son père se nommait Charles DIGARD et sa mère Suzanne BRISSET.

ill.3

Dans la base de Généa50 nous trouvons un couple isolé, créé le 22 août 2008. Ils ont un fils Jean-Charles-Joseph.

Il est indiqué sur le registre de Saint-Germain-des-Vaux, 1753-1772, E4, page 88/272 : Charles DIGARD laboureur fils mineur de défunt Pierre DIGARD et de Jeanne LECOUVEY de Saint-Germain-des-Vaux et Suzanne BRISSET fille mineure de Charles BRISSET et Jacqueline-Agnès LE MAGNENT de Vauville.

Avons nous ces gens dans la base de Généa50 ? Nous trouvons bien ce couple Pierre DIGARD et Jeanne LECOUVEY (ill. 3). J’ai donc relié les 3 premières générations ce qui nous permet de remonter jusqu’à la 6ème.

Maintenant que le squelette de la Branche DIGARD est fait, nous n’aurons plus tard, qu’à renseigner les informations manquantes.

Revenons à Marie-Suzanne LEVALLOIS. Tout comme son mari, elle n’est pas présente dans la base. Regardons leur mariage le 25 juillet 1793 à Saint-Germain-des-Vaux, 1793-An X, E6, page 29/323. Il est dit qu’elle est fille de Jacques-François LEVALLOIS et Marie-Madeleine HUBERT. Tous deux de la paroisse de Saint-Germain-des-Vaux. En regardant dans la base de Généa50 nous trouvons une fiche en date du 16 mars 2012 à laquelle je la relie.

Grosse surprise. Nous pouvons retracer son ascendance jusqu’à quarante neuf générations. Pour ma part, je m’arrêterai à la trente et unième, ne m’hasardant pas à remonter plus haut. Elle est descendante, notamment de Charlemagne, Guillaume le Conquérant, Robert de Bruce…

Elle a un ancêtre commun avec Guillaume PICOT marié à Jeanne de GOUBERVILLE. Un très bon palmarès qui ne s’arrête pas là, car la suite de cette analyse va nous montrer
d’autres choses.

“[…] Laquelle usant du bénéfice des art. 1075 et 1076 du code civil, fait donation entre vifs à ses deux enfants, ses seuls héritiers, savoir :

1° Monsieur Charles-François DIGARD, propriétaire, demeurant à Cherbourg

2° Et Madame Hélaine-Françoise DIGARD, épouse de Monsieur Edmé-Agnan-Philippe BARDIN, capitaine commandant le fort de Querqueville, chevalier de Saint Louis, chevalier de la légion d’honneur, ensemble demeurant en la commune de Querqueville. Monsieur DIGARD et madame BARDIN, Celle-ci sous l’autorisation maritale, ici présents et acceptant avec reconnaissance” (ill. 4).

ill. 4

Nous pouvons donc ajouter deux enfants au couple Jean-François-Pierre DIGARD, Marie-Suzanne LEVALLOIS : Charles-François DIGARD et Hélène-Françoise DIGARD, épouse de Monsieur Edmé-Agnan-Philippe BARDIN.

II° Charles-François DIGARD

Nous avons dans la base deux Charles-François DIGARD qui ne correspondent pas, et aucune Hélène-Françoise DIGARD, ni de Edmé-Agnan-Philippe BARDIN.

Une recherche sur Généanet me permet de trouver sur la fiche de Denis LECARPENTIER un Charles-François DIGARD et sa sœur Hélène-Françoise DIGARD. Cependant Charles-François DIGARD est décédé le 22 janvier 1821 à Cherbourg et ne peux pas être vivant en 1832. La même fiche m’annonce un frère portant les deux mêmes prénoms qui lui est décédé le 2 novembre 1874. Allons voir les tables décennales , Cherbourg, 1792-An XI, 4E 1/5, page 32/136 (ill. 5) :

ill.5

Nous trouvons bien deux Charles-François. Les registres des Naissances nous en apprendront plus sur le troisième prénom des garçons. Ils ont eu deux sœurs, Caroline et Hélène-Françoise. En 1832, un des deux Charles François et ladite Caroline étaient décédés.

ill.6

Cherbourg, An IV, E51, page 157/215 (ill. 6), nous apprenons en note marginale que le deuxième Charles François DIGARD est décédé le 2 novembre 1874. C’est le bon.

ill. 7

Dans le corps du texte, nous apprenons également que son père est négociant (ill. 7).

III° Le parrain et la marraine d’Hélène-Françoise DIGARD

ill. 8

Elle est née le 5 prairial de l’an 6 de la République (Le 25 mai 1798) : Cherbourg, An VI, E53, page 160/235. Nous apprenons en note marginale qu’elle est décédée le 29 septembre 1886 (ill. 8).

ill. 9

Son parrain et sa Marraine sont François-Robert DANCEL et Hélène DEMARY (ill .9).

Cherbourg, 1751-1755, E24 Page 146/278 (ill. 10), le 23 Octobre 1753, nous trouvons le mariage de François-Robert DANCEL et de Anne-Charlotte-Jacqueline DU VASTEL. Serait-ce lui le parrain ?

Ill. 10

Ce François DANCEL décède le 9 vendémiaire de l’an 8. Cherbourg, An VIII, E75, pages 3 et 4/13, page 3/131. Il est donc fort probable qu’il soit le parrain de Hélène-Françoise DIGARD. Allons nous intéresser à sa signature.

Signature le jour de son mariage : « Dancel de St Jean » (Ill. 11).

Et signature le jour de la naissance de Hélène-Françoise DIGARD (ill. 12) : « Dancel » tout court. Le «D» à la même graphie. Il s’agit de la même personne.

Ill. 11
Ill. 12

Le parrain est donc un Dancel dont la famille est liée au «Manoir Seigneurial de Tourlaville».

Nous ne trouvons rien sur le parrain et la marraine dans la base de généa50. Je vais donc me perdre un peu et m’intéresser de plus près, à eux.

ill. 13

Sa femme Anne-Charlotte-Jacqueline DUVASTEL est décédée à l’âge d’environ 36 ans, le 5 janvier 1765 (Cherbourg, 1763-1767, E39, page 57/152). Il se remarie dans la foulée avec Jeanne LE SOURD. Leur premier enfant naquit le 8 avril 1766 (Ill. 14, 15 & 16).

Ill .14

Sources : Cherbourg, 1751-1755, E24, pages 191 & 272/278 / Cherbourg, 1756-1760, E25, pages 52, 97, 143 & 237/266 / Cherbourg, 1761-1765, E26, pages 41, 127 & 193/318 / Cherbourg, 1766-1770, E27, pages 18, 66, 216 et 313/343.

Ill. 15
Ill. 16

Maintenant intéressons-nous à la marraine, Hélène DEMARY :

Nous la trouvons à Saint-Germain-des-Vaux, 1773-1792, E5, page 49/304, marraine, le 22 août 1776 de Michel LECOUVEY. C’est la même graphie. Nous apprenons également qu’elle est de Jobourg.

Ill. 17

Elle décède à Cherbourg le 8 mars 1819, à 6h00 du soir : 1819, 3E 129/54, page 15/108 (Ill. 18).

Ill .18

Nous apprenons qu’Hélène DEMARY à 62 ans en 1819 et qu’elle est née à Huningue en banlieue de Bâle, vers 1756-57. Son père se nomme Richard DEMARY et sa mère Marie-Sébille HUGON. Cette date correspond au début de la guerre de sept ans. Huningue était une ville de garnison fortifiée, construite par Vauban de 1679 à 1682. Elle permettait de contrôler le gué du Rhin et renforcer la position stratégique de la ville par rapport à Bâle. Elle constituait une sorte de base arrière où passait une partie des troupes françaises, avant de rejoindre les zones des combats au coeur de l’Allemagne.

Ill. 19 : Vue cavalière de la forteresse de Huningue en 1749.

Nous pouvons émettre l’hypothèse que Richard DE MARY servait dans les armées royales et que sa femme a accouchée à l’hôpital militaire de cette ville . Nous trouvons les informations suivantes concernant son frère et lui sur le site « CIMARCONET » :

Ill .20

Sur le site « Mémoire des hommes » nous trouvons les informations suivantes concernant Richard DE MARY, enrôlé sur le Saint-Géran.

Ill .21

Hélène DEMARY demeurait à Cherbourg au 13 rue du chantier (Actuel 14 rue E. Liais) à une centaine de mètres de la rue grande Vallée où demeurait Jean-François-Pierre DIGARD et Marie-Suzanne LEVALLOIS (Ill. 22).

Ill. 22
ill. 23 : recensement au 13 rue du Chantier en 1811
(Archives Municipales de Cherbourg, photo M. Perrote).
ill. 24

Lors de la venue à Cherbourg de Napoléon en 1811. Deux huissiers furent logés chez Hélène DE MARY. Nous pouvons voir qu’il est marqué « Mademoiselle », donc elle n’était pas marié.

IV° Edmé-Agnan-Philippe BARDIN, le mari d’Hélène DIGARD

A présent intéressons-nous à Edmé-Agnan-Philippe BARDIN, capitaine commandant le fort de Querqueville (construit par l’ingénieur Pierre-Jean DE CAUX entre 1779 et 1786) . Plan ci-dessous.

ill. 25

Sur la base Léonore nous apprenons qu’il est né le 7 Janvier 1787 à Saint-Fargeau dans l’Yonne et qu’il est le fils de d’Agnan BARDIN et d’Anne POINSELIER.

ill .26
ill. 27
ill. 28

Il est nommé commandant de la place de Bréhat le 29 octobre 1817. C’est en cette ville que naquirent ses enfants. Edouard BARDIN en 1818, qui devint capitaine au long court, Louis-François BARDIN (1820-1875), Eugène BARDIN (1822-1893) et Léontine-Heleine BARDIN (1827-1856).

Sur cette période il est fait chevalier de l’ordre royal de la légion d’honneur par ordonnance du 23 mai 1825.

Puis nommé Chevalier de l’ordre royal de Saint Louis par ordonnance du 29 octobre 1828.

Il est nommé commandant du fort de Querqueville le 9 juillet 1829 jusqu’à sa retraite le 1er mars 1846 (ill. 29).

ill. 29

V° Eugène BARDIN, le fils d’Hélène DIGARD et de Philippe BARDIN

Ill .30

Leur fils Eugène BARDIN (ill. 30) quant à lui eut une grande carrière militaire et pour vous en parler je vais laisser Théophile LAMATHIERE le faire avec son livre Panthéon de la Légion d’honneur en page 261. Source Gallica.bnf.fr (ill. 31)

Ce qui touche à Eugène BARDIN est recherché. Le lot n°50 de la vente ADER du 6 juin 2012 s’est vendu à 2100 €.

Il contenait :

* Une Médaille de la valeur militaire sarde «Spedizione d’Oriente 1855-1856». Argent. Revers gravé «BARDIN/E/CAPIT. ADJ.MAJ/21E LIG». Ruban ancien. T.T.B.
* Une Médaille de Crimée par WYON. Argent. Ruban ancien à deux agrafes françaises «Inkermann» et «Sebastopol». Une poinçonnée. T.T.B.
* Une Photographie (16 x 10 cm) du Général de division Bardin, en uniforme, portant ses décorations dont les deux médailles précitées. Époque IIIe République. (Petits frottements).
* Une Avis de promotion au grade de sous lieutenant du 21e de ligne à Cherbourg. Fait à Paris le 12 avril 1843 et signé de Soult Duc de Dalmatie.
* Une Lettre de Monsieur Sivard de G. le 8 janvier 1860. Avec enveloppe adressée au capitaine adjudant major du 21e de ligne Bardin.
* Huit lettres relatives à ses fonctions d’inspecteur vers 1879-1881 dans le district d’Aumale et en Algérie.

ill. 32

VI° Conclusion

Maintenant que tous les protagonistes de l’acte et autour de l’acte sont situés, intéressons nous à l’acte en lui-même :

Marie-Suzanne LEVALLOIS est propriétaire au 22 février 1832 :

ill. 33

Une carte postale ancienne nous propose une vue du passage Digard en 1919, où se trouvait une boutique et deux magasins appartenant à Marie-Suzanne LEVALLOIS en 1832 (ill. 34).

Le n°8 de la rue Grande Vallée où demeurait la famille DIGARD se situait au niveau du cercle bleu sur la parcelle 749 et non au n°8 de l’actuelle résidence Marianne, située sur la croix bleu (ill. 34).

ill. 34
ill. 35 : recensement au 8 rue Grande Vallée en 1811
(Archives Municipales de Cherbourg, photo D. Châtel)

Nous apprenons que cette donation est faite sous condition que Marie-Suzanne LEVALLOIS jouisse des revenus des biens de son vivant sans en être propriétaire. En contrepartie ses enfants devaient lui payer une rente viagère totale de 500 F : dont 300 F par sa fille et 200 F par son fils. Cette somme de 500 F était payable en son domicile deux fois par an et à parts égales. 250F le jour de Pâques 1833 puis 250 F le 29 septembre 1833. Et ainsi de suite chaque années, jusqu’à sa mort.

Hélène-Françoise DIGARD reçu la maison sise au 8 rue Grande Vallée ainsi que la somme de 1800 F et 124,61 F pris sur la rente de 249,22 F de M. Nicolas GALLIE, propriétaire à Tourlaville.

Charles-François DIGARD reçu la boutique et les deux magasins sis Chasse Digard, ainsi que la rente foncière ROUMY de 300 F due par les héritiers de Jean-François ROUMY, marchand boucher à Cherbourg, et 124,65 F pris sur la rente de 249,22 F de M. Nicolas GALLIE, propriétaire à Tourlaville.

Marie-Suzanne LEVALLOIS mourut le 14 novembre 1835 à 7h00 du matin chez Edmé-Agnan-Philippe BARDIN, son gendre, à Equeurdreville.

ill. 36

Hélène-Françoise DIGARD lui paya un total de 600 F et Charles-François DIGARD un total de de 400 F de rente viagère (1 Franc de 1850 = 3,27 euros d’aujourd’hui).

Ill. 37 : 1 Franc de 1832

David Châtel